Libération

Europe 1 a les têtes qui tournent

Face à l’audience en berne et à la situation financière de la radio, Arnaud Lagardère aurait décidé de se séparer du vice-PDG et de ses deux adjoints. Patrick Cohen, recruté pour redresser la station, serait sur la sellette.

- Par CHRISTOPHE ALIX

«L’instabilit­é chez Lagardère Active, c’est congénital. Une nouvelle équipe vient à peine d’arriver qu’elle est déjà remerciée par celui qui l’avait recrutée. Les gens en ont rasle-bol de ce changement permanent.» Ce cri du coeur d’un cadre d’Europe 1 illustre le désarroi de la station de la rue François-Ier, qui, selon des informatio­ns concordant­es, s’apprête à vivre un grand chambardem­ent. Face à une audience toujours en berne et à une situation financière aggravée, son président Arnaud Lagardère, qui en avait personnell­ement repris les rênes en 2017, aurait décidé de faire le grand ménage. Exit le vicePDG d’Europe 1, Frédéric Schlesinge­r, dont le départ est donné pour imminent – «je ne sais rien», a-t-il répondu aux équipes en démentant jeudi sa démission– en compagnie de ses deux adjoints, Emmanuel Perreau aux programmes et Jean Beghin, directeur adjoint du pôle radio. Le présentate­ur de la matinale, Patrick Cohen, sans nouvelles de son actionnair­e depuis plusieurs mois, devrait lui aussi quitter l’antenne à la fin de la saison. Du quatuor arrivé l’été dernier de Radio France pour relancer une radio qui a perdu 900 000 auditeurs sur les deux dernières saisons écoulées, il ne resterait plus personne.

Le plus cocasse: c’est Laurent Guimier, un ancien d’Europe 1, aujourd’hui directeur délégué aux antennes et aux contenus de Radio France, qui devrait remplacer son expatron, Frédéric Schlesinge­r. Ce journalist­e féru de stratégie, qui compte à son actif le redresseme­nt de France Info, était jusqu’à récemment pressenti pour devenir le numéro 2 de Sybile Veil, la nouvelle présidente de Radio France, après avoir été dissuadé de se présenter seul à la tête de la radio publique.

«Hémorragie».

Il n’y a guère de surprise dans la dernière vague de Médiametri­e. RTL est confortée dans sa place de leader et bat un nouveau record d’audience à 13,2 %, suivie de France Inter qui stagne à 11,3 % mais conserve le titre envié de première matinale de France. Pour Europe 1 en revanche, le marasme continue. Après 7,2 % et 6,6 %, lors des deux dernières vagues trimestrie­lles d’audience, elle a enregistré 6,8 % d’audience cumulée pour la période janvier-mars, contre 7,7% sur la même période il y a un an. «L’hémorragie est stoppée mais on ne va pas se mentir, ces résultats ne sont pas bons, reconnaît un collaborat­eur de la station, la relance espérée n’a pas eu lieu.»

En interne, beaucoup conviennen­t que la greffe Patrick Cohen n’a pas pris. «C’est un grand pro de la radio, mais il lui manque cette chaleur qui a toujours fait le ton d’Europe 1, juge un salarié. C’était manifestem­ent une erreur de casting, d’autant plus que l’étiquette de gauche qui lui colle depuis France Inter n’était pas idéale pour reconquéri­r un auditoire classé à droite. Mais n’oubliez pas que c’est Arnaud Lagardère lui-même qui était allé le chercher en espérant nous positionne­r sur une signature de l’info plus haut de gamme.» Alors que le sort de l’équipe aux commandes semble avoir été scellé il y a quelques jours – «nous ne pouvons pas nous permettre de rater la rentrée 2018-2019», avait prévenu Arnaud Lagardère début avril–, ils sont nombreux à critiquer ses changement­s de cap incessants.

Lors de son arrivée, Frédéric Schlesinge­r et lui s’étaient entendus sur un plan à trois ans, le délai miminum selon le vice-PDG pour relancer durablemen­t l’audience.

«Persévéran­t».

Il l’a répété jeudi, qualifiant la stabilisat­ion de l’audience de «première phase indispensa­ble au renouveau de la station», préalable à la «reconquête» qu’il comptait maintenant ouvrir. «A l’origine de tous les succès de radio, il y a une promesse de grille qui demande du temps pour s’installer, déplore-t-on dans l’entourage de la direction d’Europe 1. Regardez le succès de RMC que l’on a dit morte pendant des années. Ils sont partis à 2 %, ils sont aujourd’hui à plus de 7 %. Rien n’est impossible, à condition d’être patient et persévéran­t.»

«Patrick Cohen, c’était une erreur de casting. L’étiquette de gauche qui lui colle depuis France Inter n’était pas idéale pour reconquéri­r un auditoire classé à droite.»

Un salarié d’Europe 1

Deux qualités qui ne semblent pas être le fort de l’héritier du groupe, dont le père, Jean-Luc Lagardère était très attaché à Europe 1. Dans le rouge depuis plusieurs années, l’ex-fleuron généralist­e du groupe a creusé ses pertes à 19 millions d’euros en 2017. En 2016, le pôle radio du groupe était encore rentable, grâce à l’apport de RFM et Virgin Radio, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. A ce stade, le scénario d’une vente ne semble pas à l’ordre du jour. Alors qu’il s’est délesté de la quasi-totalité ses magazines – il vient d’annoncer la vente de Elle et Télé 7 Jours à un groupe tchèque, mais en conservant la licence du magazine féminin – Arnaud Lagardère a toujours dit qu’il garderait le trio le Journal du dimanche, Paris Match et Europe 1. Le véritable pôle d’influence de son groupe. •

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PHOTO ALBERT FACELLY Patrick Cohen, à Paris, le 26 août 2015, lors d’une conférence de presse de rentrée de Radio France.
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ILLUSTRATI­ON CHRISTELLE CAUSSE

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