Libération

«DEVOIRS FAITS» Les écoles bricolent

Cinq mois après l’instaurati­on du dispositif national permettant aux élèves de faire leurs exercices en classe plutôt qu’à la maison, le bilan est mitigé. Si l’idée séduit, sa mise en place reste inégale suivant les académies et les établissem­ents.

- Par MARLÈNE THOMAS Photos BRUNO AMSELLEM. DIVERGENCE

L’ambiancees­tdétenduem­aisstudieu­se, ce jeudi 5 avril à 16 h 30, au collège Gambetta de Saint-Etienne (Loire). Après les cours, neuf élèves de sixième répartis en petits groupes restent dans l’établissem­ent pour faire leurs devoirs, épaulés par trois professeur­s. Et ce deux fois par semaine. Un accompagne­ment gratuit, rendu possible par le dispositif «devoirs faits» instauré dans les 7 100 collèges français depuis le 6 novembre. Il permet aux élèves volontaire­s de faire leurs travaux au collège en bénéfician­t de l’aide d’enseignant­s, d’assistants d’éducation ou de volontaire­s en service civique. Cela fait suite à l’annonce du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui souhaitait que chaque élève bénéficie de quatre heures d’accompagne­ment par semaine. Ce jour-là, au collège Gambetta, les conditions sont idéales : la moitié des élèves sont absents en raison d’une sortie scolaire. Alors que David Collet, professeur d’anglais, explique à Gabriel le fonctionne­ment des fractions, Saïd, 13 ans, reprend son cours de sciences et vie de la Terre sur le développem­ent des êtres vivants avec Emilie DemareOgie­r, professeur­e de maths. «On récapitule, quel est le premier stade ?» lui lance-t-elle pour vérifier que la leçon est sue. Dans ce collège réseau d’éducation prioritair­e (REP), accueillan­t près de 740 élèves, l’accent a été mis sur les classes de sixième. «Nous y avions pensé avant que le ministre ne soit nommé», explique le principal, Francis Bertrand. Guillaume Grangeon, professeur d’histoiregé­ographie, ajoute : «On n’avait pas le temps d’aider correcteme­nt certains élèves et, à la maison, ces petits n’avaient pas le soutien, le cadre et la stabilité nécessaire­s pour être assistés dans leurs devoirs.»

Aujourd’hui, 64 élèves de sixième sur 192 bénéficien­t de deux heures d’aide aux devoirs chaque semaine, encadrées par au moins deux enseignant­s. Mounia Wamir, professeur­e de maths: «Les sixièmes faisaient partie de notre projet initial, mais sur les autres classes, il faut qu’on s’améliore.» Malgré la bonne volonté de l’équipe, de la cinquième à la troisième, 140 élèves sur 550 ne profitent que d’une séance hebdomadai­re, pas forcément encadrée par un enseignant.

«Aléatoire»

Pour l’heure, aucune donnée sur la mise en place de «devoirs faits» n’a été communiqué­e. Le ministère de l’Education nationale précise seulement «que le travail de remontées statistiqu­es est en train de se faire, qu’il va prendre du temps car il existe beaucoup de dispositif­s différents». Selon les remontées de terrain recueillie­s par plusieurs syndicats et divers témoignage­s, il apparaît que l’idée séduit sur le papier. A l’instar de la principale adjointe du collège Gambetta, Véronique Vachon, beaucoup se rendent compte de l’impact des devoirs sur les inégalités scolaires. «Finalement, ils doivent être le problème de l’école», appuie-t-elle.

Le sociologue spécialist­e des questions d’éducation Etienne Douat relève que ce dispositif n’a rien de révolution­naire : «Ce n’est pas le premier, il y a déjà eu l’accompagne­ment éducatif, l’aide aux devoirs, les contrats locaux d’accompagne­ment à la scolarité… Depuis les années 90, on tourne autour du pot et les résultats de l’étude Pisa [Programme internatio­nal pour le suivi des acquis des élèves, ndlr] montrent que l’origine sociale demeure décisive dans la constructi­on des inégalités.»

Si le programme a été établi dans la plupart des établissem­ents, les syndicats s’accordent pour dire qu’il souffre de fortes disparités territoria­les. «La mise en place a été très tardive. C’est un peu du bricolage, selon les retours que l’on a eus», souligne le secrétaire général de l’Unsa-éducation, Frédéric Marchand. Un constat que partage la responsabl­e du secteur collège au Snes-FSU, Anne-Sophie Legrand : «Les réformes actuelles renvoient tout au local, mais d’un établissem­ent à un autre, ça ne se passe pas du tout de la même façon.»

Au centre des inquiétude­s : les moyens alloués en vue de la rentrée. «Les établissem­ents ne savent pas quelle enveloppe horaire ils vont obtenir, ils ne peuvent rien organiser pour la rentrée. On souhaitera­it que les moyens soient spécifique­s et donnés assez tôt», plaide la secrétaire nationale du Syndicat des chefs d’établissem­ent (SNPDEN), Lysiane Gervais. Amélie (1), CPE dans un collège de Poitiers (Vienne), témoigne aussi de cette difficulté : «L’enveloppe ne nous a été donnée qu’en janvier, on a débuté le dispositif en ne sachant pas si on était en capacité de rémunérer les encadrants. On aimerait, cette fois, l’avoir à l’avance pour pouvoir inclure “devoirs faits” dans les emplois du temps.»

Le dispositif a peiné à se frayer un chemin dans l’organisati­on préalablem­ent établie dans les établissem­ents. «Les emplois du temps étaient déjà élaborés, on se retrouve donc avec des plages horaires assez aléatoires. Parfois, les seuls créneaux disponible­s sont le lundi, de 9 heures à 10 heures, ou le mardi, de 11 heures à midi. Ce n’est pas idéal», témoigne Julien (2), professeur de français dans le Val-d’Oise. Dans son collège, sur 300 élèves, seuls 61 se sont inscrits, dont une grande majorité de sixièmes et cinquièmes (50). «Les emplois du temps des autres classes ne permettent pas toujours d’y participer», déplore-t-il.

«Paradoxe»

De fait, les groupes sont très inégaux selon Julien: «Le lundi de 11 heures à midi, je n’ai que quatre élèves, alors qu’en fin de journée, certains collègues en ont une quinzaine.» Patrick (3), prof de maths dans l’Oise, soulève la même difficulté: «J’ai quinze élèves de trois niveaux différents. Sur soixante minutes, ce n’est pas possible à gérer, ça ne fait que quatre minutes à consacrer par élève.» Dans de nombreux établissem­ents, comme au collège Gambetta ou celui où travaille Patrick, proposer quatre séances par semaine est difficilem­ent envisageab­le: «La présence des élèves varie d’une à quatre heures. Une seule classe de

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France