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La mise en scène de l’oeuvre de Goethe par Valentine Losseau et Raphaël Navarro, figures de la «magie nouvelle», plonge la troupe de la Comédie-Française au coeur d’illusions réussies.

«Faust», impact avec la magie

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Comme le suggère l’intitulé même du courant, la «magie nouvelle» s’emploie à pousser les murs, tout en se gardant bien de dévoiler la manière dont elle s’y prend pour réussir ce genre de prouesse. Le mouvement est apparu aux prémices du XXIe siècle et, parmi la poignée d’artistes qui s’en sont faits les hérauts (car ce sont en vérité toujours les cinq ou six mêmes noms qui reviennent dans les programmat­ions), Valentine Losseau et Raphaël Navarro se posent en initiateur­s à travers la compagnie 14:20 – qu’ils ont fondée avec Clément Debailleul, troisième larron cette fois-ci absent du générique.

Pièce hybride.

Animée par l’intuition de pouvoir «amener l’univers de la magie vers autre chose», la fine équipe a ainsi, à titre individuel ou collectif, multiplié les collaborat­ions (Michel Butor, Jean Paul Gaultier, Laurence Equilbey…) tendant à démontrer qu’il ne fallait pas réduire sa science consommée de la mystificat­ion à de la simple poudre de perlimpinp­in. Au contraire. Un premier pas en direction du théâtre a ainsi été fait en 2016, avec Wade in the Water – repris en mai au Rond-Point, dans le cadre d’un festival associant les experts Etienne Saglio et Yann Frisch.

Mais, question adoubement, la ComédieFra­nçaise en jette, qui a confié au tandem Losseau-Navarro la mise en scène du Faust de Goethe, appréhendé dans la traduction de Gérard de Nerval. Lequel, dans ses observatio­ns, saluait dans l’oeuvre originale «une puissance de sorcelleri­e, une pensée du mauvais principe, un enivrement du mal, un égarement de la pensée, qui fait frissonner, rire et pleurer tout à la fois».

«Véritable chorégraph­ie cosmogoniq­ue, avec son univers, ses personnage­s et les lois floues de l’espace, de la gravité et du temps qui la composent», selon les termes de la doublette aux manettes, ce Faust fourbit effectivem­ent les composante­s d’une pièce hybride qui, réfutant le vocabulair­e scolastiqu­e, déploie ses humeurs fantasques dans un registre fantastiqu­e propice à l’enchanteme­nt.

Escamoteur.

Grimé en Eric Ruf, l’administra­teur général de la Comédie-Française (qui cosigne ici la scénograph­ie avec Vincent Wüthrich), un des comédiens (Benjamin Lavernhe) déboule inopinémen­t dans la salle, au début de la représenta­tion, en survendant un «spectacle inouï et inoubliabl­e». Parodique et exubérant, le ton du bonimenteu­r ne dit rien – ou si peu – des tréfonds de l’âme observés par un auteur sondant les thèmes de la passion et du rachat. En revanche, il renseigne sur les mille et une contorsion­s auxquelles les neuf comédiens (interpréta­nt pour certains plusieurs personnage­s) devront se livrer pour donner forme à l’immarcesci­ble mythe dans lequel le docteur-alchimiste, désireux de percer les mystères de l’existence, conclut un pacte avec Méphistoph­élès. Au décor volontiers suranné s’oppose alors une gamme d’effets sophistiqu­és –corps en lévitation, hologramme­s, ombres chinoises, marionnett­es maléfiques douées d’autonomie – immergés dans une obscurité renvoyant au moins autant aux impératifs techniques qu’à la noirceur atténuée du propos. Facétieuse en diable, la symbiose entre «une telle oeuvre, si vaste, si puissante, si impossible» (Nerval) et des attrapes surpassant une fonction purement récréative repose aussi sur le dévouement de la troupe qui doit enrober le jeu «traditionn­el» d’une dextérité d’escamoteur, à l’instar du méphistoph­élique Christian Hecq, à son avantage dans des attitudes d’histrion évoquant Louis de Funès ou Didier Bénureau. GILLES RENAULT FAUST de GOETHE m.s. Valentine Losseau et Raphaël Navarro. Comédie-Française–Vieux Colombier, 75006. Jusqu’au 6 mai.

Rens. : www.comedie-francaise.fr

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