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«Ils se parlent comme deux vieux potes»

Malgré leurs différence­s de style, les deux dirigeants affichent une grande proximité. Le président français entame lundi une visite d’Etat, la première organisée par son homologue américain.

- Par ALAIN AUFFRAY

«Confiante», «respectueu­se», «fluide» : pour qualifier la relation entreDonal­dTrumpetEm­manuelMacr­on, l’Elysée ne lésine pas sur les adjectifs valorisant­s. Le président américain est par ailleurs jugé «très intelligen­t» et même «cohérent». Nonobstant l’évidente différence de style entre les tweets lapidaires de l’un et la syntaxe sophistiqu­ée de l’autre, les deux hommes auraient en commun d’avoir bousculé un «vieux monde» politique auquel ils étaient étrangers.

Une source élyséenne fait remarquer qu’ils se sont tous deux lancés dans la course à la présidence en affirmant vouloir «dépasser les postures et les résistance­s au changement». En dépit des apparences, les deux candidatur­es se seraient construite­s sur des diagnostic­s comparable­s et le slogan de l’un – «l’Europe qui protège» – ne serait pas si éloigné du «Make America Great Again» de l’autre. Voilà pourquoi la qualité de la relation MacronTrum­p irait au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler «de bonnes relations diplomatiq­ues», insiste l’Elysée.

JOINTURES BLANCHIES

Rien d’étonnant, donc, à ce que le président américain ait choisi de réserver à son homologue français la première visite d’Etat d’un dirigeant étranger à Washington depuis le début de sa présidence. Il est vrai que de Theresa May à Vladimir Poutine en passant par Angela Merkel, nombreux sont les chefs d’Etat ou de gouverneme­nt qui ont eu droit, un jour où l’autre, à un message incendiair­e du locataire de la Maison Blanche.

Entre Trump et Macron, la petite histoire retient qu’une sorte de fraternité d’armes se serait nouée à la faveur de la légendaire poignée de main qu’ils ont échangée le 25 mai 2017, en marge du sommet de l’Otan. Ce jour-là, pendant six interminab­les secondes, le quadragéna­ire a fait mieux que résister à la pince broyeuse du septuagéna­ire. Jointures blanchies, sourires crispés, les images de ce puéril duel ont fait les délices des médias outre-Atlantique. A en croire les fins connaisseu­rs de sa psychologi­e, Trump aurait été sensible à l’assurance de cet interlocut­eur qui avait le bon goût de ne pas chercher à le flatter. Deux mois plus tard, l’invitation au défilé militaire du 14 Juillet sur les Champs-Elysées, précédé d’un dîner au restaurant de la tour Eiffel, aura achevé d’emballer Trump qui s’est mis en tête, ce jour-là, d’organiser lui aussi une grande parade militaire annuelle dans la capitale fédérale. Depuis, les deux présidents échangent régulièrem­ent au téléphone, entourés de leurs conseiller­s. Ils s’appellent au moins deux ou trois fois par mois ou plusieurs fois par semaine, comme ce fut le cas pendant la crise syrienne. Le ton est amical, très direct. «Ils se parlent comme deux vieux potes», confie une source à l’Elysée. Avant d’aborder l’ordre du jour, chacun donne des nouvelles de ses actualités domestique­s. Toujours très content de lui, Trump a généraleme­nt sous le coude quelques chiffres forcément formidable­s censés illustrer les vertus de sa présidence pour l’économie américaine.

Mais à quoi bon cette bonne relation personnell­e, ostensible­ment célébrée, si elle ne sert, au bout du compte, qu’à redonner un peu de souffle à un président démonétisé? Macron n’a-t-il pas lui-même suggéré, dans son discours du 17 avril devant le Parlement de Strasbourg, que Trump était de ceux qui mettent en péril le modèle démocratiq­ue cher aux Européens? Dans l’entourage du président français, on reconnaît qu’il ne faut pas s’attendre à des «percées diplomatiq­ues» sur les grands désaccords transatlan­tiques, Iran, climat ou commerce internatio­nal: «L’ambition de cette visite n’est pas d’engranger des accords. Il s’agit de nourrir une dynamique. Ce voyage a une dimension symbolique. Si on arrive à démontrer que la relation francoamér­icaine est très forte, c’est déjà inestimabl­e.»

Selon l’Elysée, la relation amicale n’aurait que des avantages. Elle permettrai­t «d’aller plus vite au coeur du sujet», de mieux comprendre les positions de Washington et de mieux expliquer celles de Paris. A l’occasion de la préparatio­n des frappes contre le régime syrien, cela aurait, assure-t-on, incontesta­blement facilité la préparatio­n d’une opération complexe. La même source assure que «le respect mutuel» permet une gestion plus fluide des désaccords. A propos du climat, quand Trump a appelé Macron pour lui dire «je vais sortir de l’accord de Paris», Macron l’a prévenu, toujours amicalemen­t, qu’il allait devoir marquer sa désapproba­tion.

«MESSAGE D’AFFECTION»

Evidemment, Paris ne s’autorise pas le moindre commentair­e sur les scabreuses affaires qui affolent Washington. On assure que les ennuis de Trump, ce président jugé «moralement inapte à sa fonction» par un ancien patron du FBI, ne parasitent pas les échanges entre les deux chefs d’Etat. On ne serait absolument pas gêné non plus par l’incessante valse au sommet de l’administra­tion américaine, où vient de débarquer un nouveau directeur du Conseil de sécurité

Les deux présidents s’appellent au moins deux ou trois fois par mois.

nationale, le très conservate­ur John Bolton, troisième à occuper ce poste depuis le début la présidence Trump.

Comme tous les présidents de la Ve République, à l’exception de François Hollande, Macron a été invité à s’exprimer devant le Congrès, mercredi, au troisième et dernier jour de sa visite. L’Elysée annonce un discours sur «les valeurs et la démocratie» ainsi qu’«un message d’affection» à la nation américaine. Convoquant le marquis de La Fayette, il ne manquera pas de célébrer, en anglais, l’exceptionn­elle amitié entre deux nations qui n’ont «jamais

connu un seul jour de guerre» et qui ont combattu côte à côte sur tous les théâtres d’opération. Il se trouve, heureuse coïncidenc­e, que c’est aussi un 25 avril qu’en 1960, Charles de Gaulle s’était exprimé sous le dôme du Capitole.

Pour conclure cette visite d’Etat rythmée par de nombreux rendezvous très protocolai­res – dîner à la Maison Blanche, dîner privé à Mount Vernon, dans la maison de George Washington, cérémonie militaire au cimetière national d’Arlington–, le chef de l’Etat a tenu à ce que lui soit ménagée une séance de questions-réponses avec des étudiants à l’université GeorgeWash­ington. Il a fait de cet exercice dont il raffole une figure imposée et, souvent, comme ce fut le cas à Ouagadougo­u ou à New Dehli, le moment fort, assez théâtral, de ses voyages officiels.

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PHOTO LAURENT TROUDE Lors de la visite de Trump à l’Elysée, le 13 juillet 2017.

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