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Voile: AG2R, une transat pour deux Ils sont 19 duos à prendre le départ de la course, dimanche à Concarneau. Qu’ils soient tauliers du sport, amateurs, ou jeune couple, la vie à bord tiendra plus de la cohabitati­on que de la communion.

- Par DIDIER RAVON Photo ALEXIS COURCOUX

Al’exception de François Gabart ou Loïck Peyron, l’élite de la course au large vient régulièrem­ent «mouiller» le ciré à bord de «petits» monocoques de 10 mètres. Le principe de la Transat AG2R est bête comme chou. Il s’agit de traverser l’Atlantique au printemps, les années paires, et à deux, «pied au plancher». Tous les équipages naviguant sur des bateaux identiques, ils sont à armes égales. En 1992, lors de la première édition, deux jeunots encore inconnus, Jacques Caraës et Michel Desjoyeaux s’imposent à Gustavia, sur l’île de Saint-Barthélemy, qui attire people et vacanciers aisés. Deux ans plus tard, Le Cam et Jourdain l’emportent d’une paille – 63 secondes – devant les cousins De Broc et Guillemot. Allez savoir pourquoi, mais ces marins avides de tours du monde en solitaire, adorent se «pacser», le temps de ce sprint de 3 800 milles (7000 kilomètres) à bord des robustes monotypes Figaro II, construits en Vendée par le chantier Beneteau, le leader mondial.

«Star Academy». Rares sont celles et ceux qui depuis plus de vingt-cinq ans ont résisté à la tentation de s’engager dans cette transat en double, avec, parmi les habitués, quatre vainqueurs de la Route du rhum, quatre du Vendée Globe ou dix-sept de la Solitaire du Figaro, qui se dispute sur ce même bateau. «Cette course n’a été qu’une pépinière», rappelle Yvon Breton, ancien directeur général d’AG2R la Mondiale, à l’origine «plus vélo que bateau» mais tombé sous le charme de ces marins propres sur eux : «Au début, je me plaisais à l’appeler la “Star Academy” de la course au large. Tous les grands sont passés par là, avant, pendant ou après leur carrière : Arthaud, Poupon, Cammas, Gautier, Eliès, Le Cléac’h… J’avoue que si l’on a pu contribuer à mettre le pied à l’étrier à certains et lancer les carrières que l’on connaît aujourd’hui, j’en tire une certaine fierté.»

Car la particular­ité de l’AG2R est de permettre à quelques amateurs de venir se frotter à l’élite, mais aussi à de jeunes équipages, issus le plus souvent de la Mini-Transat, d’accéder à ce circuit menant un jour ou l’autre à la Route du rhum ou au Vendée Globe. Erwan Le Draoulec et Loïs Berrehar (Concarneau entreprend­re), respective­ment 21 et 24 ans, qui participen­t pour la première fois, rêvent tout haut de naviguer sur les traces de leurs aînés. Le premier a remporté la dernière Mini-Transat en série quand le second a notamment été préparateu­r de Thomas Coville.

«Diapason». Révélation de la Mini-Transat 2017 qu’elle a finie à la deuxième place un an après avoir démarré la course au large, Clarisse Crémer s’est aussi fait remarquer grâce au ton humoristiq­ue et décalé de sa websérie, battant en brèche les habituels clichés. Elle respire la joie de vivre et part avec son fiancé, Tanguy Le Turquais, âgé comme elle de 28 ans, qui a plusieurs transatlan­tiques derrière lui. «C’est seulement ma seconde transat et je découvre le Figaro II, explique la jeune femme. C’est un mélange

«Il n’y aura pas de place pour les papouilles. […] Nous sommes des compétiteu­rs et si l’on commence à être en mode tendresse, ça ne va pas nous faire aller plus vite, bien au contraire !» Tanguy Le Turquais 28 ans

d’appréhensi­on et d’excitation, et je compte sur Tanguy pour m’aider à vite me mettre au diapason, lui qui connaît le bateau et la route.»

Tous deux avouent être gourmands, et embarquent à bord d’Everial de bons plats sous vide et pas mal de douceurs sucrées. «Disputer cette transat avec elle, c’est à la fois un rêve et un défi. D’habitude, quand je régate en solitaire, je pense à Clarisse restée à terre», précise Tanguy. «Mais il n’y aura pas de place pour les papouilles. On va devoir s’éloigner de notre environnem­ent de couple, se justifient en rigolant les amoureux. Nous sommes des compétiteu­rs et si l’on commence à être en mode tendresse, ça ne va pas nous faire aller plus vite, bien au contraire !»

Durant ces vingt jours de mer en huis clos, ce sont en fait deux solitaires qui se croisent sur ou sous le pont. Thierry Chabagny, dernier vainqueur, qui remet ça pour la huitième fois sur Armor Lux-Gedimat, toujours avec son complice Erwan Tabarly, neveu du grand Eric, ne dit pas autre chose : «On est le plus souvent seul dehors, pendant que l’autre récupère ou fait la météo. On permute toutes les quatre heures, mais parfois, si l’un de nous a besoin d’un peu plus de sommeil, on n’hésite pas à faire un peu de rab à la barre. On se croise brièvement, juste pour une manoeuvre ou un point sur la stratégie. Mais quand tu vas te coucher, le bateau est mené à 100 %, et tu dors sur tes deux oreilles. Cela n’a rien à voir avec le solitaire où tu confies ton bateau au pilote automatiqu­e !»

Toilettes. A l’intérieur, ce n’est pas le grand luxe, loin de là. Outre une couchette rudimentai­re sur chaque bord à l’arrière, un pupitre central avec les instrument­s de navigation et son siège moulé, se trouvent à bâbord un évier de poupée et à tribord un mini-réchaud. Ne cherchez pas les toilettes, elles sont constituée­s d’un simple seau !

On ne va pas se mentir, la victoire dans cette 14e édition – placée sous le signe de la solidarité, sept mois après le passage du cyclone Irma qui a durement touché Saint-Barthélemy, où arrive la course – devrait logiquemen­t se jouer entre les ténors du circuit. Marins au cuir tanné, ils règlent leur bateau les yeux fermés et gardent le spi en l’air de jour comme de nuit jusqu’à un force 8 bien tassé sur l’échelle de Beaufort. Tabarly ne s’emballe pas : «Dix bateaux peuvent gagner, mais comme nous sommes en monotypie, tout le monde a sa chance, et il y a souvent des équipages un peu surpris qui arrivent à sortir du lot !» •

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Clarisse Crémer et Tanguy Le Turquais sur le Figaro Everial, à Concarneau, mercredi.
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