Libération

Macron, Bourdin, Plenel ou le syndrome de la roue arrière

- Par TANIA DE MONTAIGNE Par TERREUR GRAPHIQUE

Il y a 71 ans, un zoologiste suisse, après observatio­n attentive d’une meute de loups et de la façon dont elle fonctionna­it, a inventé la notion «d’animal Alpha». L’animal Alpha serait un mâle qui, après avoir fait la preuve de sa puissance auprès des autres mâles de la meute, bénéficier­ait de tous les privilèges dus à son rang. Le rang 1. Une fois reconnu, le mâle Alpha décide du fonctionne­ment du groupe, mange avant les autres et s’accouple avec les femelles les plus en adéquation avec son statut d’Alpha, voire avec toutes les femelles dans le cas de certaines espèces. C’est le boss quoi. Un peu comme dans les pubs pour les parfums quand l’homme, après aspersion, circule torse nu dans des rues où les femmes se pâment et les hommes s’inclinent. Un rêve.

Dimanche dernier, alors que j’attendais innocemmen­t sur un trottoir que le feu passe au rouge, j’ai vu un homme à scooter, appelons-le A, regarder une femme, appelons-la Eve. Je l’ai vu la voir, puis ne pas en croire ses yeux au point de lever la visière de son casque et de laisser le feu passer au rouge. Subjugué. Tout aurait pu en rester là si un homme à moto n’avait fait son apparition. Appelons-le B. L’homme B aussi a vu Eve, mais il a surtout vu l’homme A la regardant. Ce qui fait qu’à un moment, A et B ont totalement cessé de s’intéresser à Eve (qui, du coup, s’en est allée) pour se défier l’un l’autre. L’homme B, juché sur une grosse moto, a toisé l’homme A sur son petit scooter. Le feu ne cessait de passer alternativ­ement au rouge puis au vert, mais les deux hommes avaient mieux à faire que d’avancer, ils se jaugeaient le véhicule, se mesuraient le cylindré. Et, soudain, l’homme A, sentant que les centimètre­s jouaient en sa défaveur, a saisi le guidon de son scooter et l’a soulevé, se retrouvant en l’air comme un cavalier sur un cheval rétif. Une érection de métal et de plastique. Il a fait ça comme si c’était la chose la plus évidente, un geste qui, pour lui, tombait sous le sens. Depuis cette position, désormais dominante, il toisait B devenu minuscule. Ce dimanche, d’une façon totalement inattendue, j’ai donc vu un homme faire une roue arrière. «J’ai pas rêvé, le gars vient de faire une roue arrière ?» m’a dit ma voisine mi-incrédule, mi-amusée. Ce qui m’a immédiatem­ent renvoyée au fait que, moi-même, je fais très peu de roues arrières. D’ailleurs, l’idée même de la roue arrière m’est-elle jamais apparue ? Non, je ne le pense pas. Je suis donc parvenue à la conclusion que, non seulement je n’avais jamais fait ce genre de choses mais, qu’en plus, ça ne m’était jamais venu à l’esprit. Cette histoire m’a tenu compagnie toute la journée et un petit sondage rapide m’a permis de constater qu’aucune des femmes que j’ai interrogée­s n’avait envisagé, dans sa vie, la roue arrière comme moyen pertinent de prouver sa compétence. Bon. J’en étais là de mes réflexions lorsque l’interview d’Emmanuel Macron par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin qui, très rapidement, est devenue un débat Bourdin, Plenel, Macron ou Plenel, Bourdin, Macron ou Bourdin, Macron, Plenel, a commencé. Pendant deux heures trente-neuf minutes et quatorze secondes, trois hommes ont lutté vaillammen­t pour faire la preuve qu’ils en avaient dans le pantalon. La parade des mâles Alpha. Chacun avec son style a tenu à ce que nous sachions que ce que nous ne pouvions voir, pour des raisons liées à la décence, existait bel et bien. «C’est qui le patron ?» semblaient-ils se dire les uns aux autres. Chacun apprenait à chacun comment faire son métier. «Vous auriez dû faire ci» disait l’un. «Vous auriez dû dire ça» martelait l’autre. «Vous dites des bêtises» répondait l’un. «Non c’est pas moi, c’est vous» rétorquait l’autre. Bref, un festival de roues arrières. Quel dommage que ces trois hommes, trop occupés à se comparer l’engin, n’aient pas vu que se tenait derrière eux l’érection la plus spectacula­ire et inégalable de France, la tour Eiffel. • Cette chronique est assurée en alternance par Thomas Clerc, Camille Laurens, Sylvain Prudhomme et Tania de Montaigne.

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