Art / «Post Zang Tumb Tuuum», en plein dans l’histoire
Pour représenter les penchants artistiques du fascisme de l’entre-deux-guerres, une exposition milanaise s’attache à montrer les oeuvres dans leur contexte d’accrochage de l’époque.
Pour rendre compte de la vie artistique de l’entre-deux guerres en Italie, la Fondation Prada a choisi de ne pas choisir en prenant tout et tout le monde. Pas seulement les meilleurs, mais aussi les pires et les médiocres, ceux que l’histoire de l’art n’a pas retenu, les laissant sur le bas-côté. A raison d’ailleurs: scènes rustiques dépeintes dans un style néoacadémique et une palette brunâtre, bustes en marbre héllénisants, énormes masques de plâtre grimaçants surjouant comiquement la douleur au lieu de l’incarner, bouquets de fleurs quelconques représentent bien les trois quarts des 600 oeuvres que présente «Post Zang Tumb Tuum», dont le titre, emprunté à celui d’un célèbre poème graphique de Marique netti, emblématique du futurisme insiste sur l’après. Après l’heure de gloire et les audaces avant-gardistes, l’expo insisterait donc sur une contre-révolution fasciste en exhibant tous les trésors de médiocrité dont elle a accouché. Ce serait trop simple. Ce n’est pas le propos du commissaire Germano Celant. L’exhaustivité du casting s’explique par un point de vue d’historien, voire d’archiviste, qui entend coller au plus près de l’époque, au plus près des salles d’expo d’alors, au point d’en reproduire l’accrochage aussi rigoureusement que possible. L’exposition se paie ainsi le luxe de tendre en toile de fond des pièces, une photographie en noir et blanc, grandeur nature, des shows dans lesquels elles ont été initialement présentées. Les pièces qui n’ont pu être retrouvées ou empruntées restent grisées, comme fantomatiques, tandis que celles qui ont pu l’être s’inscrivent pile à l’endroit où elles avaient été accrochées. Ce qui fait de cette expo une expo d’expositions, où chaque oeuvre est considérée dans sa relation avec l’espace architectural et avec ses voisines. Ainsi les Chats futuristes dépeints par Giacomo Balla en 1923 sont accrochés, haut et serrés contre d’autres, formant un essaim dynamique et ondulant, telle qu’ils le furent par Marinetti dans le rôle de commissaire, à la troisième biennale de Rome deux ans plus tard. La belle affaire, dira-t-on. A quoi bon reconstituer (partiellement) cet écrin original ? D’une part, parce qu’il témoigne du penchant des futuristes (dans ce cas) pour l’oeuvre totale et collective qui outrepasse les limites de son cadre pour conquérir l’espace alentour. D’autre part, parce que le régime fasciste a fait du genre de l’exposition en soi une arme centrale dans sa croisade culturelle. Ainsi l’écrit Celant au catalogue, «entre 1927 et 1943, l’administration fasciste a révolutionné le système d’exposition dans les arts et a fait de l’exposition le réceptacle de ses récits officiels quant au passé, au présent ou au futur». Reconstituer les expos, c’est donc aussi faire remonter l’espace social, mondain, et politique, dans lequel baignaient les oeuvres et les artistes. «Post Zang Tumb Tuuum» s’appuie d’ailleurs sur des images d’archives documentant aussi bien les réunions d’artistes que les inaugurations officielles par Mussolini et ses sbires de la Quadriennale de Rome en 1931. Le plus troublant restant qu’à ainsi tout montrer, sans séparer le bon grain de l’ivraie, les portraits mélancoliques de Modigliani, les natures mortes mutiques de Morandi, des autres plus manifestement affiliés au culte fasciste de l’héroïsme et des formes imposantes, l’expo, ambiguë, laisse le sentiment de ne pas choisir son côté de l’histoire.
JUDICAËL LAVRADOR POST ZANG TUMB TUUUM à la Fondation Prada, à Milan, jusqu’au 25 juin. Rens. : Fondazioneprada.org