Libération

«Ce barrage c’est notre fierté, mais s’il nous met en danger…»

Il alimente en eau la moitié des Californie­ns, et notamment San Francisco et Los Angeles. A Oroville, le plus grand barrage du pays, 235 mètres de haut, a bien failli céder il y a un an, menaçant des milliers de personnes. Un symbole du manque d’entretien

- Par ROMAIN DUCHESNE Envoyé spécial à Oroville (Californie)

Près de 190 000 personnes évacuées en quelques heures, des stations-service prises d’assaut, des files de voitures à l’arrêt le long des routes, alors qu’à quelques kilomètres de là, le plus haut barrage des Etats-Unis menace de déborder: joli scénario pour un film catastroph­e comme Hollywood sait en réaliser. Sauf qu’à Oroville, la journée du 12 février 2017 n’a rien eu d’une fiction. Il y a un an, la petite ville californie­nne et ses environs ont failli être noyés sous un mur d’eau de 10 mètres de haut.

Genoa Widener, 31 ans, se souvient de ce dimanche après-midi : «L’ordre d’évacuation a d’abord été donné sur une chaîne de télé locale, raconte cette habitante très engagée dans le dossier. C’était un tel chaos… La panique, même. La police circulait dans les rues avec des mégaphones pour demander aux gens de partir. Le réseau téléphoniq­ue était en rade, la télé avait enclenché un compte à rebours jusqu’au moment où ça devait craquer. De l’extérieur, ça donne peut-être l’impression qu’on a surréagi, mais ici on pensait vraiment que la catastroph­e était imminente.» Par chance, le tsunami est évité. Les pluies torrentiel­les se calment et le niveau du lac de retenue d’Oroville, à force de réparation­s d’urgence, finit par baisser. Mais les dégâts sont considérab­les, déjà chiffrés à plus de 700 millions d’euros.

Si la structure principale du barrage n’est pas touchée, les déversoirs, eux, sont en piteux état. En cas de trop-plein dans un réservoir, cette infrastruc­ture est censée dériver l’eau superflue en contrebas. A Oroville, le déversoir principal, un toboggan de béton qui rejoint la rivière Feather en aval, est le premier à craquer. Provoqué par l’érosion, un cratère de 10 mètres de profondeur se forme le 7 février. Quelques jours plus tard, le déversoir d’urgence montre à son tour des signes de faiblesse, ce qui finit par précipiter l’évacuation de 188 000 habitants de la région.

Signes d’effritemen­t

Plus de peur de mal ? Certes, il n’y a eu ni morts ni blessés lors de la crise. Au bout de quelques jours, tous les déplacés ont pu retrouver leur foyer. Mais l’enquête officielle a permis de lever un voile inquiétant sur l’état de l’infrastruc­ture et sur son entretien. Haut de 235 mètres, le barrage d’Oroville est le plus grand des Etats-Unis. Un fleuron en service depuis 1968, pierre angulaire du «State Water Project» californie­n : il fournit 61 % de l’eau utilisée par ce programme clé du Golden State. Situé à l’intersecti­on entre deux chaînes de montagne, le barrage permet ainsi d’acheminer de l’eau à 25 millions de Californie­ns (sur 40 millions) –et notamment vers les mégapoles de San Francisco et Los Angeles–, ainsi que d’irriguer la vallée de San Joaquin, le grenier des Etats-Unis, qui concentre 25 % de la production agricole du pays. Un atout stratégiqu­e dans une région habituée aux périodes de sécheresse de plus en plus longues, mais dont la gestion semble loin d’être au niveau. Le rapport indépendan­t commandé par les autorités a conclu en janvier à un «échec systémique et de long terme», affirmant que la crise de 2017 aurait pu être évitée. Ainsi, quelques années à peine après la mise en service du

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PHOTO HECTOR AMEZCUA.THE SACRAMENTO BEE. AP Le déversoir du barrage, le 20 février.
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PHOTO MARCUS YAM. POLARIS. STARFACE A Oroville, le 16 février 2017, neuf jours après la rupture du déversoir.

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