Mères noires, sombres rivages
Les Etats-Unis sont le seul pays développé où la mortalité maternelle progresse, touchant les Afro-Américaines dans des proportions qui traduisent une évidente discrimination. La ville de New York détient le record des décès.
Marcia Walker tripote nerveusement des photos de sa fille, étalées sur la table. Sur chacun de ces clichés, un même sourire éclatant. Ultimes vestiges d’une vie écourtée brutalement. Fin novembre, quelques heures après avoir accouché, Tanesia Walker, 31 ans, est morte dans un hôpital de Brooklyn. Et si les résultats de l’autopsie se font encore attendre, les Walker se disent convaincus d’une chose : «Si Tanesia avait été blanche, elle serait encore en vie.» Ils n’ont probablement pas tort.
Car, loin d’être un cas isolé, ce décès illustre une tendance alarmante aux Etats-Unis, seul pays développé où la mortalité maternelle progresse, en particulier chez les femmes noires. Faute de statistiques fiables, Washington n’a pas publié de taux officiel depuis une décennie. Mais les estimations internationales confirment les mauvais chiffres de la première puissance mondiale. Au sein de l’OCDE, seul le Mexique fait pire. Selon l’orga- nisation, le taux de mortalité américain s’élevait en 2014 à 24 décès pour 100000 naissances. Près de trois fois plus qu’en France et sept à huit fois plus qu’au Japon ou en Norvège. Chaque année, entre 700 et 900 femmes meurent aux Etats-Unis de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement, et 50 000 autres en souffrent. Un fléau qui frappe plus durement les mères noires, dont le taux de mortalité est trois à quatre fois supérieur à celui des blanches. New York, métropole parmi les plus inégalitaires au monde, fait encore pire. Selon une étude réalisée par la ville en 2015, le taux de mortalité des mères noires y est douze fois supérieur à celui des blanches. Et contrairement à certaines idées reçues, obésité, diabète et pauvreté (qui touchent plus fortement les Afro-Américains) ne suffisent pas – loin de là – à expliquer ces disparités. Une femme noire de poids normal présente encore deux fois plus de risques de complication qu’une femme blanche obèse. «Ma soeur était en excellente santé, dit Dwayne Walker, le frère de Tanesia. Elle était sportive, ne buvait pas, ne fumait pas.» Adolescente, avant que la famille quitte les Caraïbes pour