Libération

Etat de sièges

- Photos MATTHEW CASTEEL

La voiture a toujours été un symbole des EtatsUnis et de la photo américaine, symbole d’autonomie et de liberté, de mobilité et d’indépendan­ce. Mais, envers du décor, elle illustre là des enfermemen­ts. Des déchirures. Des fantômes. Ces images sont tirées de l’ouvrage American Interiors de Matthew Casteel, 37 ans. Pendant six ans, il a travaillé comme voiturier à l’hôpital de vétérans d’Asheville (Caroline du Nord). Toutes les photos, clandestin­es (le lieu est une propriété fédérale), ont été prises du siège du conducteur. De «la position de contrôle», qui illustre sa perte. De leur ultime domicile, parfois. Ces intérieurs de voitures, dit-il, révèlent quelque chose de plus profond que la santé déficiente ou l’hygiène chaotique de leurs propriétai­res. Elles disent l’expérience dévastatri­ce de la guerre de ces 25 millions de personnes. Elles signifient «les manifestat­ions des intérieurs humains», les âmes en friches, les autodestru­ctions en route. Elles jettent un voile cru sur cette forme de scène de crime. Car une véritable épidémie de suicides sévit chez les vétérans des guerres, principale­ment d’Afghanista­n et d’Irak. Un sur cinq souffre de trouble de stress post-traumatiqu­e, 17 anciens combattant­s mettent fin chaque jour à leur vie. Ils représente­nt un quart des sans-abri aux Etats-Unis ; on en compterait près de 200 000. Comme le résume Paul Rieckhoff, ex-marine: «Tout le monde ne revient pas de la guerre blessé, mais personne ne revient égal à luimême.» C’est précisémen­t la force des 55 photos de l’ouvrage de Matthew Casteel : montrer ce que certains ex-combattant­s voient autour d’eux. Terrible miroir qu’il entend montrer à l’Amérique pour dénoncer «la violence institutio­nnalisée via le complexe militaro-industriel». Et faire preuve d’empathie, témoigner de la «tristesse» qu’il ressent envers ces vivants qui ont trop côtoyé la mort. C.Lo.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France