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Les sept péchés Capitole

Des campagnes sans fin et toujours plus chères pour une participat­ion électorale faible, des présidents élus en recueillan­t moins de voix que leurs adversaire­s… Le système politique américain est-il compléteme­nt fou ?

- Par FRÉDÉRIC AUTRAN et ISABELLE HANNE Correspond­ante à New York

Les Etats-Unis peuvent-ils s’enorgueill­ir de leur système politique ? La démocratie américaine affiche, certes, une longévité inégalée, avec au compteur plus de deux siècles ininterrom­pus de transition pacifique du pouvoir. Dans un monde à l’histoire tourmentée, de la Grèce antique à l’Allemagne nazie, cela invite à un profond respect. Même – et peut-être surtout– quand un Trump succède à un Obama, deux hommes aux antipodes élus par un même peuple et unis par un même serment. Pourtant, il y a clairement quelque chose de pourri, des relents de ré- publique bananière, d’anachroniq­ue aussi, dans cette démocratie américaine. Pour la deuxième fois depuis 2000, un président s’est installé à la Maison Blanche en ayant remporté moins de voix que son rival. La Cour suprême, elle, en levant en 2010 les restrictio­ns au financemen­t électoral, a transformé la vie politique en industrie rongée par l’argent. Celui des lobbys, des intérêts privés et des milliardai­res. Celui après lequel les candidats et les élus courent en permanence, au détriment du reste. Aux yeux de ceux qui en vivent, la sphère politique américaine, avec ses milliards et ses emplois par milliers, semble sans doute florissant­e et pleine de promesses. Une vision que ne partagent guère les Américains qui, sondage après sondage, expriment leur défiance : 38 % d’entre eux se disent aujourd’hui satisfaits de leur système de gouverneme­nt et de la façon dont il fonctionne. Ils étaient 68 % en 2001.

Le désuet «collège électoral»

Dans «la plus grande démocratie du monde», on peut devenir président des Etats-Unis sans être le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix. C’est arrivé à cinq reprises dans l’histoire américaine: en 1824, 1876, 1888, 2000 (le démocrate Al Gore avait 500 000 voix de plus que George W. Bush) et, bien sûr, en 2016. Hillary Clinton a emporté le vote populaire avec presque 3 millions de voix d’avance sur son adversaire républicai­n, mais c’est Donald Trump qui a élu domicile à la Maison Blanche. Relançant la critique envers un processus électoral complexe et parfois injuste, que certains appellent à réformer. Celui-ci trouve ses racines dans le fédéralism­e constituti­f de la nation américaine : les présidents ne sont pas élus directemen­t par le peuple américain, mais par les Etats, via un collège de 538 grands électeurs chargés de le représente­r. L’élection populaire détermine, selon la méthode du winner takes it all («le vainqueur emporte tout») dans la plupart des Etats, le groupe de grands électeurs affiliés à un candidat particulie­r qui élira le président un mois plus tard. Ce système gomme ainsi toute nuance ou proportion, et augmente le poids d’un candidat même s’il n’emporte l’Etat qu’avec une marge infime.

Les milliards de dollars engloutis

L’Amérique bat un nouveau record tous les quatre ans: celui du coût des campagnes électorale­s, entre meetings grandioses et spots de télé hollywoodi­ens. La campagne de 2016, prés identielle et Congrès compris, a coûté près de 6,6 milliards de dollars (5,4 milliards d’euros), selon le Center for Responsive Politics (CRP). Soit 86,5 millions de dollars de plus que la précédente. Une tendance renforcée depuis 2010 par un arrêt de la Cour suprême des EtatsUnis, «Citizens United», qui, par une argutie juridique hallucinan­te (considérer que soutenir financière­ment un candidat tient de la liberté d’expression, et donc du premier amendement de la Constituti­on), a rendu ces financemen­ts quasiment illimités et ouverts aux entreprise­s. De la NRA (l’associatio­n pro-armes) à l’industrie fossile, lobbys, think tanks, groupes religieux et multinatio­nales arrosent de leurs dollars les deux partis (démocrate et républicai­n) via leurs comités d’action politique (PAC, aux dons limités et consignés auprès de la Commission électorale fédérale) et leurs «super PAC», supposés indépendan­ts du candidat (aux dons illimités et anonymes). Un bon moyen de s’assurer les faveurs de l’élu après les élections. Selon le CRP, les dépenses de lobbying (hors contributi­ons électorale­s) ont atteint près de 3,4 milliards de dollars en 2017. L’industrie pharmaceut­ique et les secteurs de l’assu- rance et de l’électroniq­ue sont ceux qui dépensent le plus pour défendre leurs intérêts au Congrès ou auprès des agences fédérales. L’an dernier, plus de 11 500 lobbyistes ont oeuvré officielle­ment aux Etats-Unis.

La campagne permanente

A quoi ressemble la journée type d’un parlementa­ire américain ? Dans un document interne révélé en 2013 par le Huffington Post, le Parti démocrate donnait des conseils à ses nouveaux élus. Le principal : passer quatre heures par jour au téléphone pour courtiser des donateurs. Et pour cause, en 2016, les 435 élus à la Chambre des représenta­nts ont dépensé en moyenne 1,5 million de dollars chacun pour leur campagne. A peine investis pour un mandat de deux ans, les députés ont donc une priorité : remplir les caisses pour leur réélection. Cet accent mis sur l’aspect financier empiète, forcément, sur la mission première des élus : préparer les projets de loi, voter le budget, participer aux auditions parlementa­ires.

La brièveté des mandats nuit en outre à la recherche d’un compromis, car l’échéance des urnes sem- ble toujours trop proche pour prendre des risques politiques. Elus pour six ans, les 100 sénateurs ont certes davantage le temps. Mais ils doivent aussi lever davantage d’argent : en moyenne, chaque élu au Sénat en 2016 a dépensé plus de 10 millions de dollars.

Le «gerrymande­ring», sport national

Redécoupag­e, optimisati­on ou tripatouil­lage électoral ? Difficile de bien traduire gerrymande­ring, ce mot-valise formé en référence à un gouverneur du Massachuse­tts, Elbridge Gerry (en 1811, il fut accusé d’avoir redécoupé la circonscri­ption d’un comté afin de favoriser son parti) et à salamander (la «salamandre», parce que sur la nouvelle carte, son district ressemblai­t à l’amphibien légendaire). Tous les dix ans, après un recensemen­t, les circonscri­ptions électorale­s américaine­s sont remaniées dans le but affiché de refléter l’évolution de leur population – le nombre de Représenta­nts à la Chambre pour chaque Etat étant, par exemple, déterminé par son poids démographi­que. Mais changer les frontières d’une circonscri­ption, c’est peut-être chan-

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