Les sept péchés Capitole
Des campagnes sans fin et toujours plus chères pour une participation électorale faible, des présidents élus en recueillant moins de voix que leurs adversaires… Le système politique américain est-il complétement fou ?
Les Etats-Unis peuvent-ils s’enorgueillir de leur système politique ? La démocratie américaine affiche, certes, une longévité inégalée, avec au compteur plus de deux siècles ininterrompus de transition pacifique du pouvoir. Dans un monde à l’histoire tourmentée, de la Grèce antique à l’Allemagne nazie, cela invite à un profond respect. Même – et peut-être surtout– quand un Trump succède à un Obama, deux hommes aux antipodes élus par un même peuple et unis par un même serment. Pourtant, il y a clairement quelque chose de pourri, des relents de ré- publique bananière, d’anachronique aussi, dans cette démocratie américaine. Pour la deuxième fois depuis 2000, un président s’est installé à la Maison Blanche en ayant remporté moins de voix que son rival. La Cour suprême, elle, en levant en 2010 les restrictions au financement électoral, a transformé la vie politique en industrie rongée par l’argent. Celui des lobbys, des intérêts privés et des milliardaires. Celui après lequel les candidats et les élus courent en permanence, au détriment du reste. Aux yeux de ceux qui en vivent, la sphère politique américaine, avec ses milliards et ses emplois par milliers, semble sans doute florissante et pleine de promesses. Une vision que ne partagent guère les Américains qui, sondage après sondage, expriment leur défiance : 38 % d’entre eux se disent aujourd’hui satisfaits de leur système de gouvernement et de la façon dont il fonctionne. Ils étaient 68 % en 2001.
Le désuet «collège électoral»
Dans «la plus grande démocratie du monde», on peut devenir président des Etats-Unis sans être le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix. C’est arrivé à cinq reprises dans l’histoire américaine: en 1824, 1876, 1888, 2000 (le démocrate Al Gore avait 500 000 voix de plus que George W. Bush) et, bien sûr, en 2016. Hillary Clinton a emporté le vote populaire avec presque 3 millions de voix d’avance sur son adversaire républicain, mais c’est Donald Trump qui a élu domicile à la Maison Blanche. Relançant la critique envers un processus électoral complexe et parfois injuste, que certains appellent à réformer. Celui-ci trouve ses racines dans le fédéralisme constitutif de la nation américaine : les présidents ne sont pas élus directement par le peuple américain, mais par les Etats, via un collège de 538 grands électeurs chargés de le représenter. L’élection populaire détermine, selon la méthode du winner takes it all («le vainqueur emporte tout») dans la plupart des Etats, le groupe de grands électeurs affiliés à un candidat particulier qui élira le président un mois plus tard. Ce système gomme ainsi toute nuance ou proportion, et augmente le poids d’un candidat même s’il n’emporte l’Etat qu’avec une marge infime.
Les milliards de dollars engloutis
L’Amérique bat un nouveau record tous les quatre ans: celui du coût des campagnes électorales, entre meetings grandioses et spots de télé hollywoodiens. La campagne de 2016, prés identielle et Congrès compris, a coûté près de 6,6 milliards de dollars (5,4 milliards d’euros), selon le Center for Responsive Politics (CRP). Soit 86,5 millions de dollars de plus que la précédente. Une tendance renforcée depuis 2010 par un arrêt de la Cour suprême des EtatsUnis, «Citizens United», qui, par une argutie juridique hallucinante (considérer que soutenir financièrement un candidat tient de la liberté d’expression, et donc du premier amendement de la Constitution), a rendu ces financements quasiment illimités et ouverts aux entreprises. De la NRA (l’association pro-armes) à l’industrie fossile, lobbys, think tanks, groupes religieux et multinationales arrosent de leurs dollars les deux partis (démocrate et républicain) via leurs comités d’action politique (PAC, aux dons limités et consignés auprès de la Commission électorale fédérale) et leurs «super PAC», supposés indépendants du candidat (aux dons illimités et anonymes). Un bon moyen de s’assurer les faveurs de l’élu après les élections. Selon le CRP, les dépenses de lobbying (hors contributions électorales) ont atteint près de 3,4 milliards de dollars en 2017. L’industrie pharmaceutique et les secteurs de l’assu- rance et de l’électronique sont ceux qui dépensent le plus pour défendre leurs intérêts au Congrès ou auprès des agences fédérales. L’an dernier, plus de 11 500 lobbyistes ont oeuvré officiellement aux Etats-Unis.
La campagne permanente
A quoi ressemble la journée type d’un parlementaire américain ? Dans un document interne révélé en 2013 par le Huffington Post, le Parti démocrate donnait des conseils à ses nouveaux élus. Le principal : passer quatre heures par jour au téléphone pour courtiser des donateurs. Et pour cause, en 2016, les 435 élus à la Chambre des représentants ont dépensé en moyenne 1,5 million de dollars chacun pour leur campagne. A peine investis pour un mandat de deux ans, les députés ont donc une priorité : remplir les caisses pour leur réélection. Cet accent mis sur l’aspect financier empiète, forcément, sur la mission première des élus : préparer les projets de loi, voter le budget, participer aux auditions parlementaires.
La brièveté des mandats nuit en outre à la recherche d’un compromis, car l’échéance des urnes sem- ble toujours trop proche pour prendre des risques politiques. Elus pour six ans, les 100 sénateurs ont certes davantage le temps. Mais ils doivent aussi lever davantage d’argent : en moyenne, chaque élu au Sénat en 2016 a dépensé plus de 10 millions de dollars.
Le «gerrymandering», sport national
Redécoupage, optimisation ou tripatouillage électoral ? Difficile de bien traduire gerrymandering, ce mot-valise formé en référence à un gouverneur du Massachusetts, Elbridge Gerry (en 1811, il fut accusé d’avoir redécoupé la circonscription d’un comté afin de favoriser son parti) et à salamander (la «salamandre», parce que sur la nouvelle carte, son district ressemblait à l’amphibien légendaire). Tous les dix ans, après un recensement, les circonscriptions électorales américaines sont remaniées dans le but affiché de refléter l’évolution de leur population – le nombre de Représentants à la Chambre pour chaque Etat étant, par exemple, déterminé par son poids démographique. Mais changer les frontières d’une circonscription, c’est peut-être chan-