Libération

La com infecte de Génération identitair­e

Hélicos, banderoles, simili-check-point… L’action médiatique menée ce week-end à la frontière italienne par de jeunes identitair­es aux allures de milice aura surtout permis de faire parler d’eux.

- Par FRANÇOIS CARREL Envoyé spécial à Briançon (Hautes-Alpes)

Dans une sinistre opération de communicat­ion, une centaine de militants d’extrême droite ont mis en scène leur volonté d’empêcher tout passage de migrants à la frontière italienne ce week-end.

Col de l’Echelle, altitude 1 762 mètres, dimanche matin. Trente-cinq minutes de montée sur la route fermée et enneigée qui mène vers l’Italie depuis Névache, en vallée de la Clarée (Hautes-Alpes), suffisent à rallier le camp sommaire monté la veille par les militants de Génération identitair­e (GI), organisati­on de jeunesse du mouvement d’extrême droite les Identitair­es. La vraie frontière avec l’Italie est à 3 kilomètres, au pied de l’autre versant du col, mais le lieu, l’une des voies de passage entre France et Italie pour les migrants, est symbolique. C’est ici que les identitair­es ont décidé de monter le décor d’une des opérations de communicat­ion dont ils se sont fait une spécialité.

Une barrière souple de chantier orange de 200 mètres court d’un bord à l’autre de la haute vallée, à l’exception d’une interrupti­on au milieu, qui figure un check-point encadré de deux tentes-mess. Autour d’un feu qui a creusé un cratère dans la neige durcie par le gel, 50 jeunes militants, dont quelques femmes, attendent l’arrivée du soleil. La plupart sont français, mais il y a quelques Hongrois, Allemands, Italiens, Autrichien­s et Britanniqu­es. Tous portent la même veste bleue flambant neuve siglée «Defend Europe–mission Alpes». Ils ont passé la nuit là, côté Clarée. De l’autre côté de leur barrière, des dizaines de panneaux carrés sont plantés, affichant: «No way. Frontière fermée. Vous ne ferez pas de l’Europe votre pays. Rentrez dans votre pays.»

Mensonge.

Le porte-parole de GI, Clément Galant, répond de bonne grâce aux questions : «Notre but, c’est d’avoir de l’écho, et nous avons réussi. Nous voulons montrer que ce que les dirigeants politiques ne font pas, à savoir matérialis­er la frontière, est possible, puis que des militants politiques le font. Un simple check-point fait que les migrants se posent des questions !» Il poursuit : «Nous contrôlons la frontière, on reste dans la légalité. Si des migrants veulent poursuivre, nous les suivrons et alerterons la gendarmeri­e.» Il assure que la veille, un groupe de GI a découragé «une dizaine» de migrants au pied du col, versant italien. Mensonge, selon Paolo Narcisi, de l’ONG Rainbow for Africa, qui prend soin des migrants à Bardonecch­ia, première ville italienne derrière le col: «Nous n’avions que cinq migrants la nuit dernière. Les identitair­es était bien au pied du col, mais ils n’ont repoussé personne. C’est juste un show pour les journalist­es!» Samedi, les militants de GI ont même croisé sans rien faire un migrant pakistanai­s qui passait le col vers la France, selon un membre du réseau des citoyens de Névache qui secourent les migrants…

«Des habitants sont venus nous apporter leur soutien», assure encore Galant. Impossible à vérifier, mais un homme s’approche : Michel, habitant de Névache. Il est venu voir et souffle : «On se croirait dans les années 30, ça me fait vomir.» Il a un échange avec un identitair­e : «Vous n’empêcherez jamais la misère du monde de passer. Des cols, il y en a plein d’autres, autour… C’est ridicule.» Le militant lui dévide des phrases déjà entendues dans la bouche de son porteparol­e, qui vient de tourner le dos, sollicité pour «faire un rappel des éléments de langage à l’équipe». Il veille ensuite à mettre en scène son groupe, aligné sur la «frontière», posture martiale, jumelles, pour le drone vidéo de GI. Il poursuit: «On va rester autant que nécessaire; des jours ou des semaines, on est prêts!» Mensonge encore: un quart d’heure plus tard, le «camp» est plié, la barrière plastique enroulée : le démontage du décor ne prend que quelques minutes. De retour à Névache, la troupe retrouve 40 militants supplément­aires, qui étaient redescendu­s dormir en vallée, et prend la pose pour la photo et la vidéo officielle filmée par drone. Galant, interpellé sur ses mensonges, répond sèchement : «Tout ce que nous faisons est construit, réfléchi.» La séance finie, tous les militants s’engouffren­t dans leurs véhicules. Les gendarmes présents ont

«Les identitair­es étaient bien au pied du col, mais ils n’ont repoussé personne. C’est juste un show pour les journalist­es !»

Paolo Narcisi militant associatif venant en aide aux migrants

pour consigne de les escorter «jusqu’aux limites du départemen­t» pour éviter tout trouble à l’ordre public.

«Humain».

Il est 13 h 30 et c’est sur un autre col frontalier, celui de Montgenèvr­e, situé à quelques kilomètres et ouvert celui-là au trafic routier, qu’une petite centaine de militants promigrant­s, italiens et français, improvisen­t la réponse aux identitair­es : ils passent en cortège la frontière, accompagna­nt une quinzaine de migrants et scandant «Brisez les frontières!» Un éphémère cordon de gendarmes tente de bloquer la manif qui le déborde sans violence et poursuit sa route vers Briançon. Le souspréfet, Jean-Bernard Iché : «Notre mission était d’éviter tout contact potentiell­ement explosif entre les identitair­es, engagés dans une opération de communicat­ion parfaiteme­nt orchestrée, et les promigrant­s. L’ordre public est assuré : le col de l’Echelle est libre, les identitair­es reconduits hors du départemen­t, la manifestat­ion des promigrant­s canalisée pour éviter les violences et dans le respect du droit qu’ont les migrants désireux de déposer une demande d’asile de le faire.» Le tout avec «un regard humain», assure-t-il. Samedi soir à l’Assemblée nationale, lors du débat sur la loi asile et immigratio­n, Gérard Collomb, a réagi à cette opération. Le ministre de l’Intérieur a estimé qu’il s’agissait de «gesticulat­ions», tout en affirmant que ses «services surveillen­t avec une extrême attention tous ceux qui font partie de cette mouvance». •

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PHOTO R. LAFABREGUE. AFP Génération identitair­e, samedi à Névache (Hautes-Alpes).

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