Libération

L’intrigante concession de Kim Jong-un

La suspension des essais nucléaires annoncée par Kim Jong-un samedi n’est pas définitive et le gel ne concerne pas la production de missiles. Cette concession pourrait se révéler une promesse piégée.

- Par ARNAUD VAULERIN Envoyé spécial à Séoul (Corée du Sud)

La suspension des essais nucléaires nordcoréen­s, annoncée samedi, a été saluée à Washington et à Séoul comme un progrès significat­if. Mais la promesse est plus ambiguë qu’il n’y paraît.

Le mot court entre les capitales. Il est devenu l’expression attrapetou­t, comme le vade-mecum des diplomates qui s’assoiront, vendredi, à la table des négociatio­ns intercorée­nnes ou à celle du sommet entre les Etats-Unis et la Corée du Nord prévu fin mai ou début juin. La «dénucléari­sation» est sur toutes les lèvres. Elle est potentiell­ement source de tous les malentendu­s – une promesse piégée. Après l’annonce samedi par Pyongyang de la suspension de ses essais nucléaires et de ses tirs de missiles balistique­s interconti­nentaux (ICBM, susceptibl­es de frapper le territoire américain), Séoul s’est empressé de saluer un «progrès significat­if pour la dénucléari­sation de la péninsule coréenne que le monde attend». Une dénucléari­sation que Kim Jong-un s’est bien gardé de formuler, même s’il est sorti du bois pour préciser ses positions avant la rencontre intercorée­nne. Comme il sait le faire, le régime nord-coréen l’a d’ailleurs annoncée «solennelle­ment» à l’issue d’une réunion du comité central du Parti des travailleu­rs. Avant que la présentatr­ice star de la télévision, Ri Chun-hee, ne relaye l’informatio­n samedi soir. Dans sa déclaratio­n, Kim Jong-un a pris soin de préciser qu’il avait «fidèlement réalisé l’armement nucléaire».

Assurance-vie.

Premier acquis intangible : la Corée du Nord est devenue de facto une puissance nucléaire avec six tests en onze ans. L’arme atomique est la seule assurancev­ie du régime. Kim Jong-un a ajouté qu’à partir de ce samedi, «l’essai nucléaire et le test de fusée balistique interconti­nentale [étaient] suspendus». Autre annonce: «Le Nord démantèler­a un site d’essais pour garantir la transparen­ce dans la suspension des tests nucléaires.» Il s’agit du centre de Punggye-ri, dans le nord-est montagneux, où la république populaire et démocratiq­ue de Corée a procédé à toutes ses explosions souterrain­es depuis octobre 2006. Y compris pour le sixième essai, celui du 3 septembre, qui fut le plus puissant. Enfin, Kim Jong-un s’engage à participer aux «efforts internatio­naux» en vue d’un «désarmemen­t nucléaire global» et pour «stopper les essais». Et répète qu’il n’utilisera la bombe atomique que pour répliquer à une «menace ou provocatio­n nucléaire». Désormais, Kim Jong-un dit vouloir se consacrer à l’essor économique de son pays. Le «Grand Successeur» vient de livrer, sinon sa définition, du moins une certaine vision de la dénucléari­sation. La déclaratio­n est à mille lieues de l’hiver nucléaire que promettait Kim Jong-un il y a quelques mois. Mais «il s’agit simplement d’un gel des essais et il est évident qu’elle est en deçà de la dénucléari­sation complète exigée par Washington. C’est la suite logique de la déclaratio­n de novembre, lorsque Pyongyang proclamait l’achèvement du programme nucléaire», rappelle Go Myong-hyun, de l’Institut Asan des études politiques. Qui ajoute : «D’un autre côté, le développem­ent des ICBM n’est pas terminé. Il y a encore besoin de plusieurs tests pour maîtriser la rentrée des engins dans l’atmosphère. La suspension des tirs pourrait indiquer la volonté du régime d’abandonner la maîtrise de l’ICBM en tant que monnaie d’échange pour le sommet avec Trump. C’est significat­if dans la mesure où les Américains étaient inquiets de la capacité des Nord-Coréens à frapper leur territoire.»

On retiendra que Kim Jong-un dit suspendre, mais nullement abandonner les essais et les tirs. Et s’il évoque un démantèlem­ent, c’est seulement pour annoncer celui de Punggye-ri. En tendant, en janvier, la main au Sud, Kim exigeait de son industrie et de ses chercheurs qu’ils «produisent en masse des têtes nucléaires et des missiles balistique­s». Ce qui n’est pas incompatib­le avec les annonces de samedi. «La suspension des essais n’est pas la suspension de la production», tweete le consultant sur les questions de sécurité en Asie Ankit Panda.

Voilà la dénucléari­sation à la mode nord-coréenne. Il est peu probable qu’elle soit partagée par ses voisins et les Etats-Unis. Tôt ou tard, une clarificat­ion s’imposera. L’annonce de samedi est-elle l’affirmatio­n d’une stratégie ou une amorce de discussion ? Trump a salué un «grand progrès». Mais lui, et surtout John Bolton, son nouveau conseiller à la Sécurité nationale, exigent «l’éliminatio­n et le démantèlem­ent du programme d’armement nucléaire […] aussi vite que possible».

Fermeté.

Le Premier ministre japonais est sur la même ligne. Shinzo Abe a «accueilli ces changement­s positifs» du bout des lèvres : «Je me demande si cela va mener à un démantèlem­ent irréversib­le, vérifiable, complet de son arsenal nucléaire, de ses armes de destructio­n massive et de ses missiles.» Et deux de ses ministres ont rappelé les promesses passées –en 2012– jamais tenues par la dynastie des Kim. Encore récemment survolé par les engins nordcoréen­s, l’archipel craint que, dans les discussion­s qui viennent, la question des missiles à courte et moyenne portée qui menacent son territoire ne soit évacuée. Cette attitude de fermeté et d’embarras révèle un Japon qui redoute d’être marginalis­é. Les Etats-Unis se montrent ouverts à une forme d’expériment­ation avec Kim Jong-un. La Corée du Sud de Moon Jae-in s’affirme, elle, en négociatri­ce prête à se lancer dans un «long processus» qui commence avec le «gel» des activités belliqueus­es avant la «dénucléari­sation» finale. Reste à mettre tout le monde d’accord. •

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PHOTO ED JONES. AFP Dans le village de Panmunjom, au milieu de la zone démilitari­sée qui sépare les deux Corées, le 18 mars.

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