Libération

L’usine syrienne, fournisseu­se de l’EI ?

La juge d’instructio­n s’interroge sur un échange de mails qui peut laisser penser que l’usine Lafarge en Syrie aurait pu vendre du ciment à l’EI.

- I.Ht

Jusqu’où allaient les relations économique­s entre la filiale syrienne de Lafarge et l’Etat islamique? Les magistrats s’interrogen­t sur un nouveau volet qui n’a pour l’instant pas encore été exploré. Trois types de flux financiers ont formelleme­nt été établis dans la procédure entre le cimentier et l’Etat islamique. Une somme fixe pour le franchisse­ment des différents check-points sur les routes, une commission proportion­nelle payée par les transporte­urs mais prise en compte par Lafarge dans la définition de ses prix et une autre lors de l’achat de matières premières à des fournisseu­rs liés à l’organisati­on terroriste. Mais un échange de mails entre plusieurs cadres du cimentier jette le trouble sur une possible autre relation économique : la vente de ciment de la multinatio­nale à l’organisati­on Etat islamique.

Volume énorme.

Le 22 décembre 2014, alors que l’usine syrienne est encore aux mains du groupe terroriste, Ahmad Jaloudi, le «gestionnai­re des risques» de Lafarge en lien avec les groupes armés, informe Frédéric Jolibois, responsabl­e de cette filiale, de la volonté de l’Etat islamique d’acheter 150000 tonnes de ciment. «L’Etat islamique cherche des distribute­urs en Syrie comme les nôtres», lui indique Ahmad Jaloudi. Et précise la répartitio­n : «75 000 tonnes en Irak et 75 000 tonnes en Syrie.» Un volume énorme, mais qui correspond­rait sans difficulté aux capacités de production de l’usine syrienne de la multinatio­nale.

Cette demande est répercutée par l’un des principaux clients du cimentier, visiblemen­t en lien étroit avec des cadres de l’Etat islamique. Ce distribute­ur leur fournissai­entils du ciment Lafarge avant la prise de l’usine le 19 septembre 2014 ? Le groupe terroriste est, à l’époque, un véritable acteur économique de la région, et contrôle même jusqu’à six cimenterie­s en Irak et en Syrie. Le responsabl­e de la filiale irakienne de Lafarge est aussi dans la boucle des échanges, et informe Frédéric Jolibois sur les faibles capacités de production de l’Etat islamique en Irak: «La cimenterie de Qaim [sans lien avec Lafarge, ndlr] est toujours sous le contrôle d’Isis [Etat islamique]. Cette cimenterie ne produit plus depuis le mois de juillet.» Dans l’usine de Lafarge, à Jalabiya, dans le nord-est de la Syrie, le groupe terroriste a également du mal à relancer la production et se contente de vider les silos.

«Perspectiv­e d’achat».

Abondammen­t questionné sur ces messages par la juge d’instructio­n Charlotte Bilger, lors d’une troisième audition le 11 avril dernier, Frédéric Jolibois esquive et plaide le malentendu. «Il résulte de ce mail que ce sont des discussion­s qui portent très clairement sur une perspectiv­e d’achat», estime la magistrate, qui lui demande des explicatio­ns. «Ce mail ne fait référence à aucune volonté d’achat ou même de commerce avec ISIS. C’est de l’informatio­n. On est une société complèteme­nt à l’arrêt, qu’est-ce qu’on peut faire à part recueillir de l’informatio­n ?» estime l’ancien dirigeant. «La teneur de ce mail ne correspond pas à ce que vous en dites. Qu’en pensez-vous?» insiste Charlotte Bilger. Réponse: «Je suis en total désaccord avec vous.»

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