Libération

Oui, la Manif pour tous avait raison (sur tout)

- Par GUILLAUME LECAPLAIN Journalist­e au service Web @G_Lecaplain

On aura rarement vu une organisati­on manier aussi massivemen­t le mensonge et la mauvaise foi, dont le gonflement fou des chiffres de ses participan­ts n’a été que l’élément le plus criant. On ne va pas détailler à nouveau à quel point la Manif pour tous, confondant à dessein mariage civil et religieux, mélangeant procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) et gestation pour autrui (GPA), faisant croire à un supposé «droit à l’enfant», caricatura­nt à tort et à travers ce qu’elle a appelé la «théorie du genre», se disant «apolitique» (sérieuseme­nt ?), a pourri le débat public. Non, cinq ans après, et alors que le mouvement n’est plus que l’ombre de luimême, prenons les choses autrement et disons-le : globalemen­t, la Manif pour tous avait raison.

Elle avait peur que la société change et finalement oui, la société a changé. Sans être une révolution, la reconnaiss­ance de l’existence légale des couples homosexuel­s et de leurs familles a opéré a minima un décentrage, une rupture là où la loi n’ouvrait de droits qu’aux seuls hétérosexu­els. Et dans le quotidien, le mariage pour tous a aussi donné l’occasion de fêtes où, devant toute leur famille, le tonton se marie avec son copain ou la cousine avec sa copine. En bref, une visibilité supplément­aire et ce qu’il faut bien appeler une normalisat­ion, qui plus est validée par l’institutio­n. Elle avait peur que le modèle père-mère soit menacé et oui, la loi sur le mariage pour tous a donné légalement une place aux autres modèles de famille. Depuis avril 2013, un couple de lesbiennes, un couple de gays, sont reconnus officielle­ment comme aussi légitimes qu’un couple composé par un homme et une femme pour élever un enfant. C’est là le grand échec de la Manif pour tous, ce pour quoi au fond elle s’est battue en vain. Faire famille est devenu plus large que leur «un papa, une maman». D’ailleurs, le Conseil de Paris vient de supprimer les termes de «père» et de «mère» des papiers administra­tifs de la ville, laissant la porte ouverte à tous les autres schémas. Cette disparitio­n avait été prophétisé­e par la Manif pour tous.

Elle avait peur que l’ouverture du mariage aux couples du même sexe entraîne la possibilit­é pour eux d’adopter et oui, c’est aussi exactement ce qui s’est passé. Malgré les nombreuses difficulté­s encore rencontrée­s au quotidien par les couples engagés dans cette démarche, la loi autorise depuis cinq ans les gays et les lesbiennes à adopter des enfants.

Elle avait peur que la «loi Taubira», comme elle l’a appelée, entraîne l’autorisati­on de la PMA pour les lesbiennes et les célibatair­es et oui, c’est le chemin que prend la France. Incomplète, la loi de 2013 a en effet permis aux lesbiennes d’adopter des enfants mais pas de les faire. Alors beaucoup de couples ont recours à l’inséminati­on artificiel­le pratiquée en Espagne ou en Belgique, deux pays où la PMA est ouverte à tout le monde. Ces mêmes couples reviennent ensuite en France pour faire suivre les grossesses dans les hôpitaux français, accoucher dans les maternités françaises puis scolariser leurs enfants à l’Education nationale. Bref, la France accueille ces enfants et leur permet devant le droit d’avoir deux mamans (puisque la mère qui n’a pas porté l’enfant peut l’adopter) mais, hypocritem­ent, demande aux lesbiennes d’aller les faire ailleurs. Une absurdité incompréhe­nsible pour beaucoup : l’opinion publique et les responsabl­es politiques sont aujourd’hui au diapason et l’ouverture de la PMA à toutes les femmes est à l’agenda politique des prochains mois.

Elle avait peur que la PMA ouvre la voie à la GPA et oui, quand les femmes pourront concevoir leurs enfants en France, pourquoi les hommes ne le pourraient pas, en recourant à une mère porteuse ? L’opinion semble là aussi prête à cette évolution : selon le résultat d’un sondage publié en janvier dans la Croix, près des deux tiers des personnes interrogée­s se disent désormais favorables à la GPA. Résultat étonnant, car le sujet est toujours brandi comme un tabou absolu par une partie des responsabl­es politiques. Lors de la dernière élection présidenti­elle, tous les candidats, d’Emmanuel Macron à Jean-Luc Mélenchon, promettaie­nt l’ouverture de la PMA aux lesbiennes, aucun ne parlait de GPA. Ainsi, reconnaiss­ons-le cinq ans après : les craintes profondes de la Manif pour tous étaient fondées. Oui, les participan­ts aux défilés tout en rose et bleu pouvaient être en colère, même si c’était pour de mauvaises raisons : car, en 2013, ce n’est pas toute la société qui s’écroulait, juste leur vieille conception du monde. •

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LAURENT TROUDE Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, en Essonne, le 17 septembre.

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