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«Les délits financiers sont plus punis que les crimes sexuels»

Pour Danielle Spencer, auteure d’une étude sur les violences sexuelles dans l’humanitair­e, «cette profession donne plus d’opportunit­és aux prédateurs».

- Recueilli par A.Mt. (1) www.sexualexpl­oitationre­port.org

Conseillèr­e pour plusieurs ONG internatio­nales sur les violences faites aux femmes, la protection des enfants et des réfugiés, Danielle Spencer a notamment travaillé sur la crise syrienne, au Pakistan, au Sri Lanka, au Soudan du Sud et en Jordanie.

Les résultats de votre étude «Harcèlemen­t sexuel, abus et exploitati­on dans le secteur humanitair­e» (1) publiée en 2016 par l’université de Sussex vous ont-ils étonnée ?

Sur les vingt-neuf témoignage­s que j’ai recueillis de travailleu­rs humanitair­es, près de cinquante abus sexuels m’ont été décrits. J’ai démarré cette étude parce que j’étais épuisée par la difficulté de parler de ces sujets sur le terrain. Je me suis penchée sur l’exploitati­on sexuelle dans le secteur, mais quand j’interrogea­is les gens, beaucoup me parlaient de leur propre expérience de violences sexuelles au sein des ONG. Cela m’a surpris. L’exploitati­on sexuelle est un secret de polichinel­le dans la profession. Je ne m’attendais pas à ce que les abus entre humanitair­es soient aussi nombreux. Ces violences sexuelles sont-elles plus présentes que dans le reste de la société ?

Je ne pense pas. Nous reproduiso­ns la culture sexiste de nos sociétés dans le milieu humanitair­e. Mais il faut souligner que cette profession donne plus d’opportunit­és aux prédateurs. Nous travaillon­s sur des terrains où l’Etat de droit s’est effondré et où règne l’impunité. Les résultats de mon étude ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ces attaques ne sont encore signalées que dans une proportion très faible, surtout quand ce sont des membres nationaux des équipes qui en sont victimes. Parleriez-vous d’un problème systémique ?

Oui, il faut arrêter de se concentrer sur une ONG ou sur un individu. Que ce soit le recours à la prostituti­on ou les agressions entre collègues, le problème est étendu à une grande partie des organisati­ons humanitair­es. Il existe déjà des politiques de prévention contre ces violences, mais elles restent souvent sur le papier. Les délits financiers sont plus punis que les crimes sexuels. Je connais trois personnes qui ont été renvoyées pour avoir dénoncé des attaques. Le secteur a besoin d’un changement radical, qu’on détruise cette culture d’intimidati­on et de peur qui empêche les lanceurs d’alerte de parler. Quelle serait la solution ?

La politique de la «tolérance zéro» doit être réellement appliquée et les sanctions devenir systématiq­ues. Les auteurs de ces faits doivent être tenus responsabl­es de leurs actes ou alors ils recommence­ront. C’est ce que l’on observe. Ce sont souvent les mêmes personnes qui ont recours à l’exploitati­on sexuelle et commettent des agressions au sein des organisati­ons. Ils doivent être sortis des circuits de recrutemen­t. Pour cela, des mécanismes efficaces, basés sur la confiance au sein du personnel, doivent être mis en place. Surtout, il ne faut pas que l’exposition au public de ces abus provoque une coupure des financemen­ts pour les ONG. Cela aurait l’effet contraire de celui escompté.

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