Le leader du parti de la gauche radicale espagnole et sa compagne ont acheté un bien de 660 000 euros dans un quartier huppé. Face au tollé, le couple demande aux militants de se prononcer par un vote.
Pablo Iglesias achète une villa avec piscine, Podemos risque le plongeon
Depuis son apparition fracassante sur la scène publique espagnole en 2014, la formation de gauche radicale Podemos n’a pas été exempte de scansias dales et de polémiques en dépit de son discours de moralisation de la vie politique : supposés financements iraniens et vénézuéliens, présumée évasion fiscale de la part du cofondateur Juan Carlos Monedero, refus de gouverner le pays en coalition avec les socialistes, connivences avec le séparatisme catalan… Tout ceci n’a pas empêché le mouvement d’être la troisième force parlementaire et d’être bien situé aujourd’hui dans les sondages.
Mais ce qui risque désormais de provoquer l’implosion de Podemos, c’est une villa cossue à quelque 40 kilomètres au nord-ouest de la capitale. Le sujet déchaîne les passions et les indignations : le couple formé par Pablo Igle- et Irene Montero, respectivement secrétaire général et porte-parole parlementaire de Podemos, a reconnu avoir acheté un chalé de 660 000 euros à La Navata, un lotissement select à Galapagar, qui n’a rien d’une bourgade populaire, dans les montagnes, au nord de Madrid. Les médias ont donné tous les détails avec gourmandise et, souvent, impudeur : 268 mètres carrés construits, un jardin de 2 000 mètres carrés avec piscine, un remboursement immobilier mensuel de 1 600 euros, à quoi il faut ajouter, assure le journal en ligne Elconfidencial.com, 1 200 euros de frais d’entretien par mois. Sur le plan symbolique, cela fait un peu désordre de la part d’un couple qui n’a cessé de vouer aux gémonies les membres de «la caste».
«Notables».
La folle polémique déclenchée par l’achat de cette villa a donné du grain à moudre aux nombreux détracteurs de Podemos – des conservateurs du Parti populaire aux socialistes– et a provoqué de fortes dissensions au sein d’un mouvement qui, jusqu’alors, avait toujours invoqué la sobriété financière comme une de ses valeurs cardinales. Le risque d’implosion est si grand que Pablo Iglesias a annoncé une consultation auprès de la base. Si celle-ci considère en majorité que l’achat de la villa constitue une «faute politique», alors les deux leaders de la formation radicale démissionneront. Au lieu d’apaiser les esprits, cette annonce de référendum interne a suscité les réactions les plus vives. Même Jean-Luc Mélenchon, dont le mouvement est proche de Podemos, s’est invité dans le débat : «Insoumis espagnols, tenez bon autour de vos leaders !» a-t-il tweeté samedi.
Pour la plupart des sympathisants de Podemos – dont la maire de Barcelone, Ada Colau –, le couple dirigeant a pris un risque considérable, pour lui et pour sa formation, car leur départ pourrait être synonyme de débâcle dans les sondages, à seulement deux ans des élections générales. «Cette affaire pourrait définitivement torpiller une formation qui incarne les espoirs des plus défavorisés de faire tomber les privilèges des notables», s’étrangle Isidro López, député madrilène et représentant de l’aile anticapitaliste de Podemos, une fragile coalition de forces hétéroclites.
Le scandale du chalet du couple Iglesias-Montero écorne fortement l’image de ce parti antisystème qui, depuis son ascension météorique, ne cesse de dénoncer les scandales éclaboussant les «partis de la caste» – le Parti populaire de Mariano Rajoy, surtout, mais aussi les socialistes. «On ne peut pas mener la politique économique d’un pays depuis la terrasse d’un appartement de 600 000 euros !» lançait il y a peu Pablo Iglesias à l’adresse du ministre des Finances, Luis de Guindos, critiquant sa récente acquisition immobilière.
«Indécence».
Au sein de Podemos, la question crée un net clivage. «Une villa avec piscine dans une zone chic me paraît incompatible avec le leadership d’un parti qui dit défendre les plus nécessiteux, ceux qui remboursent avec difficulté leurs prêts immobiliers», enrage Isidro López. C’est «une indécence éthique», renchérit Marcos Martinez, un ancien membre du Conseil citoyen étatique, l’organe suprême de Podemos. Dans l’autre camp, on voit une énorme hypocrisie. «Faut-il, pour être de gauche, vivre misérablement dans un quartier populaire ?» s’est insurgé Juan Carlos Monedero. «Il n’y a là ni scandale, ni honte, ni abus, affirme l’écrivain de gauche David Torres. C’est un achat immobilier légal avec de l’argent gagné honnêtement. Cette polémique est un écran de fumée pour masquer d’autres vrais scandales.»
Comme le stipule une norme de Podemos, les salaires de Pablo Iglesias et d’Irene Montero sont plafonnés à environ 2 000 euros, soit trois fois le smic espagnol. Reste à attendre le résultat de la consultation interne. Comme bien d’autres, le chroniqueur Rubén Amón y voit un coup médiatique des deux leaders, sûrs d’en sortir «indemnes» : «Ils banalisent ainsi le mécanisme du plébiscite afin de rendre complices leurs militants d’un achat irresponsable et mégalomaniaque.» •