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BANLIEUES Malek Dehoune, le saut en auteur

Dans l’enquête «la Part du ghetto», qu’il a cosignée, il raconte, nostalgiqu­e, l’évolution de son quartier d’enfance en région parisienne. Lors de la sortie du livre en mars, il a été pris au dépourvu face aux critiques le dépeignant en «voyou repenti» ou

- Par RAMSÈS KEFI Photo MARTIN COLOMBET. HANS LUCAS

Malek Dehoune a tardé à offrir un exemplaire de son bouquin, la Part du ghetto, à sa mère. Même après coup, il estime des pans de son enquête (cosignée) trop abrupts pour une dame, notamment celui évoquant en détail la vertu de jeunes voisines, dépeintes en auto-entreprene­uses tourmentée­s, mais satisfaite­s. Il dit qu’elle regarde toujours le bon côté des choses et peigne les mauvaises pour les rendre présentabl­es aux personnes extérieure­s – ces derniè- res ne les vivent pas, à quoi bon les exposer ? Pudeur. Le postulat du bouquin est donc pile à l’opposé de la gamberge maternelle : laver une partie du linge sale de son propre quartier en public et une fois celui-ci séché, lui floquer dans le dos le nom de «ghetto». Le trentenair­e est dans une situation forcément délicate : participer au check-up du lieu où il a grandi et où il passe encore du temps. Puis, commenter les résultats. Il interroge, sincère et intrigué : «Est-ce que le livre t’a choqué, toi ?»

Son terroir : une cité aux portes de Paris, anonymisée pour éviter le stigmate et ses conséquenc­es dérivées. Les jeunes témoins, souvent mouillés dans des combines et pas peu fiers d’eux-mêmes, se confient sous pseudonyme. L’absence de repère géographiq­ue accentue la dimension globalisan­te –«la banlieue». Sur un malentendu, un non-initié pourrait croire que le récit raconte «la banlieue» dans son ensemble. Il ne s’agit pourtant que d’un échantillo­n. Malek Dehoune, sur son investigat­ion à domicile : «J’ai découvert à quel point les gamins aimaient l’argent. On en voulait aussi à notre époque, mais cette envie-là prenait d’autres formes. On était plus discrets, on avait des limites, on était plus ouverts au monde. Aujourd’hui, sans l’oseille, on a l’impression que tu n’es rien, même si tu es un homme de grande valeur. Tu peux même être une balance. Tant qu’il y a les sous…» Il étaye : «Avant, les clients qui venaient acheter du shit étaient tirés dans un coin. Ça ne devait pas se voir. Aujourd’hui… (soupir) : le client vient à l’aise, il est le roi.»

AIMANT

Le livre décrit un coin bouffé par les problémati­ques socio-économique­s les plus dures et les questionne­ments existentie­ls les plus complexes, avec ce que cela produit quand ils s’entrechoqu­ent. Un jour, des jeunes sont allés bastonner des migrants postés plus loin dans le quartier. Pour une affaire de manque de respect et a priori, dans une indifféren­ce inquiétant­e. Ça le fait dodeliner de la tête.

Malek Dehoune: un bonhomme de 36 ans souriant, arrangeant et trapu, né à quelques kilomètres de son quartier d’origine. Au vrai, sa commune est tellement collée à la capitale qu’on se demande si la terminolog­ie de «banlieue» est encore pertinente dans ce cas-ci. «On allait à Paris à pied. Il n’y a rien dire : c’est encore mieux desservi qu’avant. Mais paradoxale­ment, je ne sais pas si les jeunes du quartier bougent autant. Ils commandent à manger et restent dans des coins, entre eux.» Il a arrêté ses études un peu avant le bac. Des conneries de jeunesse, des

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