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Poursuites contre la mosquée En-Nour de Nice : encore raté pour Christian Estrosi

Le maire LR avait déposé en janvier 2017 plusieurs signalemen­ts au sujet du financemen­t des travaux. Vendredi, le procureur a classé sans suite le dossier d’enquête.

- Par MATHILDE FRÉNOIS Correspond­ante à Nice

Une devanture vitrée à l’allure de hall d’exposition de concession­naire automobile se dresse au bord de la deux fois deux voies de l’ouest niçois. A l’intérieur, une coupole s’élève au-dessus des tapis bleus. En cette période de ramadan, les fidèles se pressent dans la mosquée EnNour. Au rythme des prières, ils passent sous la banderole «Estrosi, touche pas à ma mosquée» tendue au-dessus de l’entrée. C’est que depuis six ans, le maire Les Républicai­ns de Nice a fait de ce lieu de culte son cheval de bataille. Le sujet sur lequel il avait promis de ne «rien lâcher», menant un combat judiciaire et administra­tif contre son ouverture.

Gros oeuvre. Vendredi, le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre, a livré le dénouement de ce combat. Il a classé sans suite le dossier d’enquête sur le financemen­t de la mosquée. L’affaire judiciaire démarre en janvier 2017 par un signalemen­t déposé au titre de l’article 40 par le directeur des services de la ville de Nice: il suspecte des «abus de biens sociaux», des «infraction­s fiscales» et des «blanchimen­ts de capitaux». Tous liés aux travaux de la mosquée, «propriété du ministre des cultes d’Arabie Saoudite, qui prône la charia», martelait alors Christian Estrosi. Les investigat­ions et le service Tracfin indiquent que le local de la mosquée a bien été acheté par un ministre saoudien. Il est loué par l’associatio­n cultuelle et culturelle Nice La Plaine pour 4 500 euros mensuels, montant jamais versé. Rien de répréhensi­ble dès lors que le propriétai­re s’en accomode, selon le procureur. L’enquête se tourne alors vers les travaux qui ont été effectués à partir de septembre 2013, du gros oeuvre et des finitions, la peinture des murs et la pose d’une moquette bleue, pour un total de 760000 euros. «Les deux tiers de cette somme correspond­ent aux travaux réalisés par la société monégasque EuroRénova­tion, aujourd’hui liquidée, détaille Jean-Michel Prêtre. Cette entreprise n’a jamais reçu de paiement de la part de l’associatio­n. Elle a été pour partie payée dans le cadre d’un mouvement de fonds de l’étranger vers l’étranger, puisqu’elle est monégasque.» Toujours rien d’illicite. Le reste du chantier est réalisé «à titre bénévole par de nombreuses personnes, particulie­rs, artisans ou responsabl­es d’entreprise­s commercial­es, ayant souhaité donner de leur temps ou fournir des matériaux pour servir leur religion», précise le procureur. Il classe le signalemen­t sans suite, aucune infraction commise en France n’ayant été constatée. Seuls quatre prestatair­es, des entreprise­s françaises, font l’objet d’investigat­ions supplément­aires, pour des soupçons de blanchimen­t d’argent d’un montant de 100 000 euros.

«Je réaffirme qu’il n’est pas acceptable dans notre pays qu’un lieu de culte puisse être détenu par une puissance étrangère qui ne respecte pas les valeurs de la République française», déclare Christian Estrosi dans un communiqué. Le maire de Nice a toujours lutté contre cette mosquée. A coups d’enquêtes publiques, de projet de crèche en ses murs, d’un autre lieu de culte. Même contraint par le Conseil d’Etat, Christian Estrosi refuse de signer l’acte d’ouverture d’EnNour. C’est le préfet qui se substituer­a.

«Estrosi s’acharne, c’est le moins qu’on puisse dire. Il a fallu deux procédures pour que la mosquée ouvre, explique à Libération Me Ouassini Mebarek, avocat de l’associatio­n. Maintenant, il vient s’en prendre à la légitimité du propriétai­re. Mais nous n’avions aucune crainte car l’associatio­n est transparen­te. Le financemen­t n’est pas opaque.»

Jusqu’à l’ouverture de la mosquée en 2016, Nice comptait treize lieux de culte musulmans. Les deux présents à l’ouest de la ville ne répondaien­t pas aux besoins. «C’était la jungle. Dans ce quartier, on prie dans des sous-sols ou sous des tôles, déplorait M’Barek, un fidèle, lors de l’inaugurati­on. On se croirait dans un autre temps.» Amaria était du même avis : «Qu’une mairie ne donne pas de lieu de culte décent, c’est injuste. On est obligé de prier avec des chaussures dans un sous-sol ou de se cacher chez nous. On n’est pas des petites souris.»

Amende. Aujourd’hui autorisée à accueillir du public, la mosquée fait toujours face à l’opposition de Christian Estrosi. Vendredi, il a annoncé la signature d’un bail avec une autre associatio­n, le Centre cultuel des musulmans de Nice, qui a pignon sur rue, pour créer une autre mosquée dans le même quartier. S’attirant par là même les foudres de Philippe Vardon, ancien responsabl­e du Bloc identitair­e, chef de file du Front national niçois et conseiller régional Paca. Opposant local d’Estrosi, il entend instrument­aliser l’affaire dans un objectif purement électorali­ste.

Du côté d’En-Nour, d’autres affaires judiciaire­s sont encore en cours : des plaintes contre Christian Estrosi pour «diffamatio­n, injures et incitation à la haine». Par ailleurs, l’astreinte pour la non-signature de l’acte d’ouverture court toujours. Le Conseil d’Etat avait fixé à 500 euros d’amende par jour de retard de signature. Près de deux ans après, n’ayant toujours pas paraphé, Christian Estrosi «pourrait devoir près de 300000 euros», selon Me Ouassini Mebarek, qui ira «jusqu’au bout de la procédure de liquidatio­n de l’astreinte». Deux batailles ont déjà été remportées par la mosquée: l’ouverture en juin 2016 et l’enquête judiciaire ce vendredi. •

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PHOTO VALERY HACHE. AFP La mosquée En-Nour, à Nice, en avril 2016.

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