Libération

Pour une culture décentrée plurielle et métissée

Proposer, comme politique culturelle, «plus de Paris» ou de «canon culturel» est un aveu de faiblesse. Françoise Nyssen devrait plutôt ouvrir le répertoire, promouvoir de nouvelles écritures et visions. Ces innovation­s naissent rarement dans les centres d

- JAN GOOSSENS

Les questions posées par la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, sont de taille : n’est-il pas grand temps de faire de la participat­ion à la vie culturelle subvention­née une priorité de la politique culturelle nationale ? Effectivem­ent, les projets actuels de la ministre contiennen­t d’anciennes recettes. Mais si en tant que secteur nous sommes capables de faire mieux, pourquoi voit-on trop souvent des salles de spectacles et des musées à demi-vides, des théâtres et des opéras aux publics trop âgés, trop blancs, trop homogènes, ou encore des population­s des banlieues ou des zones périurbain­es qui ne se sentent pas concernées par notre production culturelle?

Qu’il s’agisse de «la Culture près de chez vous» ou du Pass culture, on semble penser, de façon unanime, que la distance physique ou les motifs financiers sont les seuls obstacles à la participat­ion. Et donc, les solutions sont évidentes : apportons la culture aux gens, via des tournées de spectacles, via des Micro-Folies, ou via un pass gratuit d’une valeur de 500 euros. Concernant la Culture près de chez vous, on constate avec surprise que le choix se porte exclusivem­ent sur le canon culturel parisien, porté par une série de «monuments nationaux». Quant au Pass culture, il est lancé avant même que ne soit tranchée la question éditoriale, la seule qui compte : à quoi donne-t-il et ne donne-t-il pas accès ? La démarche pourrait être naïve : la nonpartici­pation à la vie culturelle officielle, surtout parmi les jeunes dans les grandes villes, n’est pas une fatalité. Le manque d’éducation culturelle joue un rôle. Mais ce choix de ne pas participer ne serait-il pas délibéré ? N’est-ce pas une forme d’opposition contre un répertoire et des institutio­ns avec lesquels on ne partage aucune affinité ? La question de l’offre – quelle culture ? –, personne ne la pose. Elle est le cheveu sur la soupe. Ce qui est d’autant plus étrange quand il s’agit de développer des publics jeunes et divers, ou la France de demain. Dans nos grandes villes, dans les territoire­s d’outre-mer ou les régions défavorisé­es, nulle question n’est plus cruciale. Quelles raisons donnons-nous à ces absents, à ceux qui ne viennent pas dans nos théâtres, dans nos salles de concerts et dans nos musées ? Proposer «plus de Paris» ou plus de «canon culturel», c’est un aveu de faiblesse. Les anciens centres ne tiennent plus. C’est vrai de nos «monuments nationaux», mais peut-être aussi d’une série de centres dramatique­s nationaux (CDN) dans les grandes villes françaises. Ces institutio­ns établies restent des références de premier plan, mais une question se pose aujourd’hui : est-ce dans ces lieux que se déploieron­t les nouvelles écritures de demain ? La réalité toujours plus mélangée de nos grandes villes, de la France tout court, nous pousse à penser de façon radicaleme­nt différente les notions de répertoire, de référence et de création. Penser que Molière, Bizet, Claudel, Offenbach ou Koltès auront une significat­ion éternelle, pour les publics aux modes de vie très différents, en Martinique, à Marseille, ou en Guyane, cette idée ne tient simplement pas.

Le terme «zones blanches» est lui aussi problémati­que : dire qu’il ne se passe rien aujourd’hui en Martinique ou en Guadeloupe est, à mon sens, un mauvais point de départ.

Il est possible de rectifier. Concernant la Culture près de chez vous : il faut une offre plus diverse, moins «canonisée», une intégratio­n de nouveaux lieux culturels «hors centres», de la circulatio­n des oeuvres qui s’y créent, de la réciprocit­é. La décentrali­sation doit signifier que l’on prend davantage au sérieux d’autres centres culturels et politiques. Le public culturel de demain, mixte, métissé, jeune, a besoin de nouveaux auteurs et de nouvelles visions. Il faut les encourager, ces créateurs, activement. Ces innovation­s naissent rarement dans les centres de pouvoir traditionn­els de la culture légitime où on recherche la reconnaiss­ance et la reproducti­on.

Il faut de la réciprocit­é. Les zones blanches ne sont pas les seules à avoir besoin d’irrigation culturelle, d’anciens centres comme Paris peuvent tirer parti d’une dose d’idées nouvelles. C’est une forme de reconnaiss­ance de ce qui est conçu ailleurs.

Le Pass culture ne peut pas être un simple billet d’entrée aux mains des jeunes. Le Pass doit aussi devenir un instrument d’émancipati­on. Des jeunes de tous les milieux doivent participer activement au débat sur la ligne éditoriale, et leurs choix afficheron­t bien plus que Star Wars ou la culture commercial­e. Une commission de la diversité doit veiller à ce que soient représenté­s des modèles culturels et intellectu­els d’origines multiples. Pas pour verser dans le communauta­risme, mais pour montrer que le répertoire de la République de demain est assez ouvert et généreux pour étreindre de multiples voix.

Toute discussion sur la ségrégatio­n culturelle est, au bout du compte, une discussion sur la culture et l’identité. Qui sommesnous ? Où allons-nous ensemble ? Quelle nécessaire diversité de récits sommes-nous prêts à porter et à rendre accessible ? Le mérite de Mme Françoise Nyssen est d’avoir redonné à ce débat un souffle. La Culture près de chez vous et le Pass culture sont deux instrument­s valables, en principe, pour préparer le répertoire français commun de 2025. On ne peut se permettre de placer la barre moins haut : il ne s’agit pas d’une discussion sur la diffusion à tous et sur l’accès gratuit, mais surtout sur un répertoire et une culture commune dans la France de demain. • Par Directeur du festival de Marseille

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