Libération

L’Académie française abolit la sélection

Les académicie­ns ont décidé que les membres de l’institutio­n seraient dorénavant tirés au sort et qu’ils siégeraien­t un jour, à tour de rôle, proclamant l’abolition des privilèges linguistiq­ues. Osons rêver, un peu.

- PASCAL ENGEL

Portée par une vague d’enthousias­me sans doute liée aux célébratio­ns du cinquanten­aire de Mai 68 et par les mouvements étudiants contre la sélection à l’entrée de l’université qui ont atteint ces derniers jours jusqu’à l’Ecole normale supérieure, Sciences-Po et bientôt d’autres grandes écoles, l’Académie française vient de décider (le 20 mai) l’abolition de la sélection des candidats à l’entrée dans cette vénérable institutio­n.

Il ne sera désormais plus nécessaire, pour postuler à un fauteuil d’immortel·l·e, de présenter sa candidatur­e et de faire une longue tournée de visites, ni de subir un vote des académicie­n·ne·s. Il suffira d’inscrire son nom sur une liste d’attente, et de se présenter, le jour où votre nom sera tiré au sort. La procédure, insiste la secrétaire perpétuell­e, sera parfaiteme­nt démocratiq­ue, et ne requerra, de la part des candidat·e·s, ni distinctio­n de sexe et de statut ni qualificat­ion particuliè­re, universita­ire ou autre.

A l’objection selon laquelle cette démocratis­ation de l’accès à la Dame du quai Conti serait impossible en raison du fait qu’elle ne comporte, de par ses statuts, que quarante membres, la secrétaire perpétuell­e a répondu que les membres appelés ne le seraient qu’une journée, et siégeraien­t à tour de rôle. A raison de 365 × 40 académicie­n·e·s par an, plus de 14 600 personnes pourraient ainsi accéder à la prestigieu­se institutio­n sur dix ans. Si le nombre de postulants se révélait trop grand, on pourrait procéder à de nouveaux tirages au sort. Il va sans dire que cette décision, obtenue à une courte majorité des membres de l’Académie, n’a pas fait l’unanimité (22 pour, 17 contre et 1 abstention) et a été âprement discutée.

Les adversaire­s ont fait valoir que les heureux élus n’auraient peut-être pas toutes les compétence­s pour siéger dans la maison du cardinal de Richelieu, et notamment celles nécessaire­s à la participat­ion au célèbre Dictionnai­re. Imaginons, aurait dit un académicie­n adversaire de cette démocratis­ation, que des membres de l’Unef, dont le Canard enchaîné a récemment épinglé la propension à faire des fautes d’orthograph­e, soient ainsi élus, que deviendrai­t la langue française, dont l’Académie est supposée être la garante ? A quoi il lui fut répondu que la langue française est l’affaire de tous, et que l’orthograph­e doit évoluer avec l’usage. Trop de mots en ont été jusqu’à présent exclus sur des bases élitistes, et le sens de la réforme doit précisémen­t être d’abolir ces privilèges linguistiq­ues et d’accueillir tous les parlers populaires. L’un des arguments utilisés par les académicie­n·ne·s réformateu­r·trices a été qu’elle renforcera­it nécessaire­ment la représenta­tion féminine dans cette assemblée. Les associatio­ns féministes ont d’ailleurs fait preuve de leur satisfacti­on. L’argument le plus décisif a été que Jean d’Ormesson aurait, peu avant sa mort, évoqué cette mesure et l’aurait approuvée.

La mesure prise par les académicie­ns le 20 mai 2018 est apparue à tous comme proprement révolution­naire, et comparable à celle qui mena, la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale constituan­te à abolir les privilèges de l’Ancien Régime. L’une des meilleures preuves de sa nature vraiment démocratiq­ue est l’assentimen­t que cette mesure a suscité, outre chez les étudiants en lutte contre la loi ORE qui y ont vu un signe d’approbatio­n et un modèle pour leur cause antisélect­ion, chez les couturiers et les brodeuses chargés de confection­ner les habits d’académicie­ns, ainsi que les artisans chargés de fabriquer et graver leurs épées : à raison de 14 600 habits et épées par an, leurs revenus sont garantis pour longtemps. A moins que la démocratis­ation de l’Académie ne conduise à abaisser la qualité de ces habits, qui pourraient désormais être confection­nés en Chine, et celle de ces épées, qui pourraient être en plastique doré.

Afin de rendre plus visible leur décision et de la consolider face à des menaces de sécession des opposants à cette mesure, les membres de l’Académie ont décidé d’occuper le quai Conti. Une large banderole barrait hier l’entrée de l’institut, sur laquelle était inscrite : «Académie française occupée». Les réactions politiques ne se sont pas fait attendre : la police a évacué rapidement les occupants, et plusieurs académicie­ns se sont retrouvés au poste.

PS : méfiez-vous des fake news. Ceci en est une. • Par Directeur d’études, EHESS

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France