Libération

«L’Aquarius», rejeté par l’Italie, accueilli par l’Espagne

Conséquenc­e du changement de gouverneme­nt italien, le navire de SOS Méditerran­ée et Médecins sans frontières a été refoulé dimanche de Sicile. Seul Madrid s’est dévoué. Mais le problème demeure.

- Par KIM HULLOT-GUIOT

Il devrait finalement accoster à Valence (Espagne), à 1300 kilomètres de sa zone de patrouille.

L’Aquarius, navire de SOS Méditerran­ée et Médecins sans frontières, qui porte secours aux migrants entre la Libye et l’Italie, s’est vu interdire dimanche de débarquer en Sicile, comme il le fait habituelle­ment. Sur le bateau orange et blanc, le week-end avait été chargé. Dans cette zone où plus de 3000 personnes sont mortes l’an dernier, le navire avait réalisé, en deux jours, deux sauvetages et quatre transferts, opérations auxquelles un hélicoptèr­e et un bateau de la marine italienne avaient participé. Lundi, le navire était rempli: outre son équipage et les membres des ONG, 629 passagers, dont 134 enfants et 7 femmes enceintes, étaient à bord. «Cela marque une rupture du manque de solidarité européenne. Enfin un autre pays bouge! estime le président de SOS Méditerran­ée, Francis Vallat. Mais Valence est à trois ou quatre jours de route de la zone [de patrouille], donc c’est autant de temps où l’Aquarius ne peut sauver personne.» D’habitude, le centre de coordinati­on des secours de Rome indique aux navires où ils peuvent débarquer, généraleme­nt dans les ports siciliens de Pozzallo, Catane, Messine ou Augusta. Les miganisati­on grants y sont pris en charge par les autorités, qui enregistre­nt leurs empreintes et les orientent vers des centres de premier accueil. Mais lundi, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini a décidé que c’en était terminé. «Sauver des vies est un devoir, transforme­r l’Italie en un énorme camp de réfugiés, non. L’Italie en a fini de courber l’échine et d’obéir, cette fois il y a quelqu’un qui dit non», a-t-il tweeté, avant de prier Malte de faire accoster le navire humanitair­e sur son île. Fin de non-recevoir du gouverneme­nt maltais, qui a ensuite proposé d’envoyer des ravitaille­ments au navire : «Malte agit en pleine conformité avec ses obligation­s internatio­nales [mais] ne recevra pas le navire en question dans ses ports». L’or- internatio­nale pour les migrations, la Commission européenne et le Haut-Commissari­at des Nations unies aux réfugiés ont demandé aux deux pays de trouver rapidement une solution. Pendant la journée de lundi, les autorités italiennes et maltaises se sont renvoyé la balle. Paris muet. Les autres pays européens se sont bien gardés d’intervenir. Berlin, par la voix du porte-parole du gouverneme­nt, s’est tout juste dit

«préoccupé» et a mollement

appelé «toutes les parties impliquées à assumer leurs responsabi­lités humanitair­es». Paris est resté muet. Avant que Madrid, où le socialiste Pedro Sánchez a pris la tête du gouverneme­nt le 2 juin, ne se dévoue : «Il est de notre obligation d’aider à éviter une catastroph­e humanitair­e». Depuis la victoire de l’extrême droite aux élections italiennes, les autorités transalpin­es ont durci le ton à l’égard des ONG qui viennent en aide aux migrants. Mais la dégradatio­n des rapports entre les ONG maritimes et l’Italie, qui a vu débarquer 700 000 migrants sur ses côtes depuis

2013 et qui a la responsabi­lité de leurs demandes d’asile en vertu du règlement de Dublin, ne date pas d’hier. A l’été 2017, les autorités italiennes avaient voulu soumettre les ONG à l’oeuvre en Méditerran­ée à un «code de conduite» jugé très restrictif. Puis plusieurs organisati­ons, l’Espagnole Pro Activa ou l’Allemande Jugend Rettet, avaient vu leurs bateaux placés sous séquestre. Dans le deuxième cas, la justice avait fini par lever la mesure, les secouriste­s ayant agi en «état de nécessité». L’Italie avait aussi déjà essayé, à l’Ascension, d’interdire l’accès à un port à l’Aquarius, avant de se raviser. Cette fois, elle a donc été «jusqu’à l’inhumanité», selon Francis Vallat. «Ces derniers mois, l’Italie, qui est une terre d’immigratio­n, a affirmé une position anti-européenne plutôt qu’anti-immigrés, juge le président de SOS Méditerran­ée. Ça ne me choque pas qu’elle demande aux autres pays de s’impliquer. Mais les excès dans le langage, le fait d’être

associés à des passeurs, c’est

déplaisant.» Et de rappeler que l’opération «Mare Nostrum», menée par l’Italie en 2014, avait permis de sauver 150 000 migrants, avant d’être stoppée «sous la pression européenne».

«Insuffisan­te». A l’heure où nous bouclons cet article, SOS Méditerran­ée était en train d’organiser le possible transfert vers Valence. Reste à trouver une solution pérenne : «Si on est là, c’est parce que la réponse institutio­nnelle européenne est insuffisan­te. On va continuer à faire des sauvetages, à obéir aux autorités, car nous sommes un mouvement citoyen, sauf si elles nous demandent de reconduire des gens en Libye. Ça, on ne le fera jamais», prévient Francis Vallat.

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PHOTO KARPOV. REUTERS Un sauvetage mené par l’équipe de l’Aquarius, en Méditerran­ée, samedi.

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