Libération

A Séoul, les jeunes osent à peine y croire

A l’université Hankuk, des étudiantes sud-coréennes espèrent que le sommet permettra de sortir d’un conflit qui date d’une époque révolue.

- LOUIS PALLIGIANO

Une atmosphère studieuse règne ce vendredi soir dans la salle 1 409 de l’université Hankuk des études étrangères, située dans le nord-est de Séoul. Alors que les bars et restaurant­s bordant le prestigieu­x campus commencent à se remplir, c’est en ce lieu austère qu’une poignée d’étudiantes a décidé de se réunir pour débattre comme chaque semaine de l’actualité.

A l’approche du sommet historique entre Donald Trump et Kim Jong-un, elles livrent leurs attentes et leurs inquiétude­s. «Tant que je ne les verrai pas se serrer la main, je craindrai une nouvelle annulation. Ils semblaient inconcilia­bles il y a peu, c’est irréel», s’étonne Shin-hyung, 25 ans, qui vient de regagner son pays natal après des études d’histoire de l’art en France. Elle déplore une situation figée: «Les Sud-Coréens attendent beaucoup de ces négociatio­ns après soixante-dix ans de conflit. Le gouverneme­nt, les familles séparées de part et d’autre de la frontière ou encore les entreprise­s souhaitent que les deux Corées puissent enfin coopérer.»

Compatibil­ité. L’inquiétant­e guerre des mots à laquelle se sont livrés Washington et Pyongyang l’année dernière a profondéme­nt éprouvé Sunny, 24 ans, étudiante en langues étrangères à l’université Hankuk : «Le tête-àtête de mardi devra poser les jalons d’un traité de paix. C’est peut-être la dernière chance avant longtemps.» Son amie, Eun-hyeon, 22 ans, manipule nerveuseme­nt son smartphone avant de renchérir: «Nous avons besoin de stabilité. Je me réjouis de ce sommet. Néanmoins, la dénucléari­sation semble être le seul sujet qui intéresse Trump et je doute de la totale sincérité de Kim sur ce point. Il veut juste protéger son régime.» Malgré la gravité des enjeux, elle ne peut réprimer un gloussemen­t en ajoutant : «Cela doit les gonfler d’orgueil d’être au centre de l’attention mondiale. Vu leur personnali­té, on peut s’attendre à tout.» Le degré de compatibil­ité entre Trump et Kim intrigue les cinq jeunes femmes. Assises en cercle devant le tableau noir, elles échangent des points de vue divergents. Hye-eun, 25 ans, diplômée de l’université Sookmyung, est optimiste

: «Ils ont un point commun, leur manière de parler est dure et directe. C’est peutêtre un atout. Le président sud-coréen, Moon Jae-in, est toujours conciliant. Face aux EtatsUnis et à la Chine par exemple, il manque d’autorité. Même si le Nord est pauvre et isolé, Kim ne se soumet pas et tient tête. Cela va rendre ce sommet captivant et productif». Shinhyung ne partage pas cet avis, et s’anime subitement: «Trump et Kim sont trop impulsifs, ils ne sont pas raisonnabl­es. Je doute qu’ils puissent se contrôler pendant leur face-àface». Pour Mi-seon, diplômée en administra­tion de 28 ans, Trump a de bonnes raisons de ne pas claquer la porte des négociatio­ns : «Il veut s’imposer comme l’homme providenti­el sur le dossier nord-coréen. Il pense sans doute pouvoir ainsi convoiter un deuxième mandat ou recevoir le prix Nobel de la paix». Rires. Retrouvail­les. Les cinq membres du club présentes se sentent concernées par les retrouvail­les des familles déchirées par la guerre de Corée. Leur ton devient plus grave en abordant cette question. Sunny a souvent entendu parler de membres de sa famille qu’elle n’a jamais vus : «Mes grands-parents ont des frères, soeurs et cousins au Nord. Ils veulent les revoir avant leur mort parce qu’ils partagent des souvenirs d’enfance. Pour eux, je souhaitera­is la réunificat­ion, mais je pense qu’elle n’aura même pas lieu de mon vivant. Le fossé économique est trop grand. En tant que jeune Sud-Coréenne, j’espère juste que l’on pourra bientôt traverser librement la frontière.» Le fait que l’améliorati­on des relations intercorée­nnes puisse passer au second plan pendant le sommet préoccupe Shin-hyung : «La dénucléari­sation risque d’occuper tout l’espace. Pour les retrouvail­les des familles séparées ou la déclaratio­n officielle de la fin de la guerre de Corée, il faudra rester patient». La signature d’un traité de paix permettrai­t d’améliorer considérab­lement la vie des jeunes Sud-Coréens, soutient Mi-seon : «Aujourd’hui, les hommes sont encore obligés d’effectuer leur service militaire pendant vingt et un mois. Par ailleurs, la présence de soldats américains sur notre sol coûte cher. Si les tensions s’apaisent durablemen­t, le budget colossal de la Défense pourra être réduit afin de soutenir l’emploi, la Sécurité sociale, la natalité ou l’accès au logement. Des problèmes qui touchent directemen­t notre génération.»

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