L’Europe à la dérive
Les trois jours de silence de l’Elysée et le refus d’accueillir le navire ont été ouvertement critiqués par certains députés de la majorité présidentielle, attachés à une politique migratoire plus humaine.
Gros malaise chez les marcheurs. Après le coup de force du ministre italien Matteo Salvini, refusant de porter assistance aux 629 naufragés de l’Aquarius, le navire de SOS Méditerranée, Emmanuel Macron est resté obstinément silencieux pendant près de trois jours, tandis que la droite et l’extrême droite françaises ne cachaient pas leur enthousiasme. L’Aquarius doit «retourner vers les côtes libyennes», claironne Eric Ciotti qui dit «comprendre» la décision italienne. Marine Le Pen, elle, la qualifie de «salutaire».
Assistance
Le silence de l’Elysée a été cruellement souligné par les offres d’assistance venues de Madrid, d’Ajaccio et même de plusieurs municipalités de gauche italiennes comme Palerme ou Messine. Plusieurs députés LREM faisaient part, mardi matin, de leur effarement. «La France est restée muette. Laissant à la dérive le principe d’accueil inconditionnel des migrants. Qu’attendons-nous pour agir?» s’interrogeait, sur Twitter, Sonia Krimi, l’une des parlementaires de la majorité qui s’était abstenue sur la loi asile. «Lorsque j’ai voulu prendre la parole en réunion de groupe ce matin, on ne m’a pas laissée faire», ajoute-t-elle, regrettant que «ni LREM ni les ministres n’aient été à la hauteur de la situation». Anne-Christine Lang, sa collègue, faisait remarquer que «face à l’urgence et à la détresse absolue, la France se serait honorée à faire une exception et à accueillir les passagers de l’Aquarius». Pour le vice-président de l’Assemblée nationale, Hugues Renson, «la France aurait dû répondre à cette situation d’urgence».
Droit maritime
Dans les couloirs du Palais-Bourbon, ce mardi, des membres de la majorité sont venus saluer le député de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, et le remercier pour la proposition formulée par le duo SimeoniTalamoni, à la tête de l’île : «J’ai senti un malaise chez les députés LREM, raconte le député nationaliste. Certains ne se reconnaissent pas dans la position de l’exécutif. On ne peut pas transiger sur nos valeurs d’accueil et d’hospitalité.» Tel n’était pas l’avis du chef de l’Etat qui s’exprimait dans la matinée devant le Conseil des ministres. Selon le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, Macron a «d’abord tenu à rappeler le droit international maritime» qui stipule qu’il revient au pays dont les côtes sont les plus proches de l’embarcation en péril «d’assumer la responsabilité de l’accueil». En refusant d’appliquer ce droit, le gouvernement italien aurait fait preuve de «cynisme» et d ’«irresponsabilité». «Si quelque bateau que ce soit avait pour côte la plus proche les côtes françaises, il pourrait à l’évidence accoster» s’est défendu le porte-parole, ajoutant qu’en attendant, la France saluait «le geste humanitaire» des autorités espagnoles. Macron souhaite d’ailleurs que «la solidarité européenne» se traduise, concrètement, par l’envoi à Valence, d’agents de l’Office français de protection des réfugiés
«Face à l’urgence et la détresse absolue, la France se serait honorée à faire une exception.» Anne-Christine Lang députée LREM
et apatrides (Ofpra) pour aider à l’examen des situations. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a invité mardi soir ses homologues italien et espagnol, Salvini et Grande-Marlaska à une réunion dans les prochains jours. La France serait-elle prête à en accueillir certains ? Sur ce point, Benjamin Griveaux rapporte que le chef de l’Etat entend rester fidèle au principe «d’humanité et de fermeté» exposé par Gérard Collomb dans le cadre de la discussion de sa loi asile et immigration: examen «au cas par
cas» des situations puis éventuel accueil en France de ceux qui seront éligibles au droit d’asile, les autres ayant, selon l’expression consacrée, «vocation à être reconduits dans leur pays de départ».
«Solution durable»
Selon l’un de ses ministres, Emmanuel Macron aurait confié, mardi matin, que son «premier réflexe» aurait été d’ordonner l’accueil de l’Aquarius. S’il s’est abstenu de le faire, c’est qu’il est à la recherche d’une «solution durable», celle qu’il a mise sur la table en septembre, à la Sorbonne, dans son discours sur l’Europe. C’est aussi, comme l’explique le député LREM Jacques Maire, qu’il ne veut surtout pas «se lancer dans une partie de ping-pong avec le gouvernement italien». «Salvini nous met sous pression, nous ne devons pas le laisser faire», ajoute-t-il. La réponse, pour Macron, repose sur la création d’un «office européen de l’asile» assisté par «une police européenne» capable de «renvoyer rapidement» les déboutés du droit d’asile. Ce projet devrait être au coeur de l’initiative que le président français et la chancelière allemande présenteront à Bruxelles lors du Conseil européen des 28 et 29 juin. Il sera aussi à l’ordre du jour, la semaine prochaine à Berlin, d’un conseil des ministres franco-allemand. Début juin, dans un entretien au Frankfurter Allgemeine Zeitung, Merkel a donné son accord de principe pour la création d’une police européenne des frontières et pour une harmonisation des procédures d’asile.
En attendant, le gouvernement soutient que «la France prend plus que sa part» dans les arrivées de migrants. Certes, elle n’a pas, comme l’Italie, vu débarquer sur ses côtes 700000 migrants depuis 2013. Mais selon le Premier ministre, «aucun pays n’en fait autant que la France pour stabiliser la situation au Sahel et en Libye». Cet argument n’a pas plus convaincu que l’invocation du droit maritime… «En Bretagne, on connaît notre droit: on n’abandonne pas des gens, seuls, perdus en mer. Point», assène le député LREM du Morbihan, Paul Molac. Quelques minutes plus tôt lors de la séance de questions au gouvernement, la socialiste Gisèle Biémouret fustigeait, dans l’hémicycle, l’argumentaire juridique derrière lequel se retranchait le Premier ministre, Edouard Philippe : «On vous parle d’humanité, vous nous répondez droit maritime.» Certains députés de la majorité n’auraient pas dit mieux.