Libération

Si la fin de l’escalade verbale entre Trump et Kim fait l’unanimité, experts et politiques déplorent que l’accord entre les deux dirigeants ne soit pas plus coercitif pour Pyongyang.

Aux Etats-Unis, un choix qui déçoit

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Historique, mais. Mardi matin aux EtatsUnis, les réactions au sommet de Singapour, chez les experts comme chez les politiques américains de tous bords, sont finalement assez homogènes. Le caractère inédit de la rencontre entre Donald Trump et Kim jung-un est largement souligné, tout comme l’apaisement entre les deux pays, engagés pendant des mois dans une escalade belliqueus­e. Même certains démocrates, dont le représenta­nt de la Californie à la Chambre, John Garamendi, ont applaudi la stratégie de Trump : «Vous êtes d’accord avec le Président, c’était la bonne chose à faire ?» lui demande un présentate­ur sur CNN. «Absolument. Les autres chemins étaient la guerre ou d’accepter sans rien faire que la Corée du Nord nous menace avec ses armes nucléaires.»

Avec ce sommet, «les tensions avec la péninsule coréenne ont été réduites, et le danger d’une guerre a reculé, résume sur Twitter Joseph Cirincione, le président du Ploughshar­es Fund, une fondation sur la résolution des conflits et contre la proliférat­ion nucléaire. Mais tout cela peut s’effondrer s’il n’y a pas beaucoup plus d’engagement­s pour concrétise­r ces vagues promesses, et vite.» Comme tous les spécialist­es de la question nucléaire, Cirincione n’a pas caché sa frustratio­n devant le document signé par Trump et Kim : «J’attendais beaucoup plus, et je suis frappé par la faiblesse du langage, a-t-il regretté. Il y a vingt-cinq ans, l’administra­tion Clinton avait obtenu un accord plus solide avec Kim Il-sung, qui comprenait des outils de vérificati­on. Il a été bafoué puis anéanti par John Bolton.» En octobre 1994, en effet, les deux pays avaient signé un accord-cadre qui gelait le programme nucléaire de Pyongyang avec une perspectiv­e de démantèlem­ent, en échange de la normalisat­ion des relations politico-économique­s. Le faucon John Bolton, aujourd’hui conseiller à la sécurité nationale de Trump, avait plus tard poussé George W. Bush à le dynamiter.

Doutes.

«La déclaratio­n conjointe Trump-Kim est très décevante, déplore aussi sur Twitter le directeur du programme Asie au Kissinger Institute, Abraham Denmark. Aucun détail, aucun processus de vérificati­on, pas de nouveaux engagement­s, pas de calendrier…» Même son de cloche chez les experts conservate­urs, à l’instar de Bruce Klingner, spécialist­e de la Corée du Nord au puissant think tank néoconserv­ateur Heritage Foundation: «Chacun des quatre points [de la déclaratio­n] était déjà présent dans des textes précédents, et parfois avec des engagement­s plus forts et plus exhaustifs.» Le sénateur républicai­n de Floride, Marco Rubio, n’a pas non plus caché ses doutes: «Nous devrions être sceptiques de tout accord avec Kim qui limite de futures armes stratégiqu­es au lieu d’éliminer son programme actuel. Ce n’est pas un résultat acceptable.» «On est loin d’une véritable avancée», estime pour sa part Kingston Reif, directeur des politiques pour le désarmemen­t et la réduction de la menace au think tank Arms Control Associatio­n. «Le bon côté, c’est que le dialogue va continuer et que tant qu’il y a de la diplomatie, il y a de l’espoir», veut croire Denmark.

«Apoplexie».

Mais un point inquiète : lors du sommet, Trump a annoncé unilatéral­ement la suspension des exercices militaires de l’armée américaine, organisés conjointem­ent avec les soldats sud-coréens. Quelques heures à peine après la poignée de main historique, les experts comptent les points. Et l’«Etat paria» s’en tire bien. Avec ce sommet, «Kim bénéficie d’une énorme victoire de propagande, d’une tonne métrique de légitimité et de l’abandon des exercices militaires américains, avec rien ou si peu en retour», regrette Denmark : «Séoul va sans doute essayer de progresser sur le front des relations intercorée­nnes, mais j’imagine que [les Sud-Coréens] vont être déboussolé­s par la décision du Président de stopper ces exercices. Selon des premières indication­s, Séoul n’avait pas été mis au courant. Les conservate­urs sud-coréens doivent être au bord de l’apoplexie.» Kingston Reif rappelle que la véritable cheville ouvrière de cette performanc­e diplomatiq­ue n’est pas Trump, mais le président sud-coréen, Moon Jae-in: «C’est son habileté et sa créativité diplomatiq­ues qui ont permis de réunir les Etats-Unis et la Corée du Nord à Singapour.» Selon lui, pour que le sommet ne se limite pas à une poignée de main et à une séance photo, «les deux parties devront avoir la volonté politique et le courage de dépasser les différends et autres retards qui vont inévitable­ment arriver dans les négociatio­ns qui vont suivre. Et il n’est pas certain que Trump ait l’endurance et le soutien politique pour le faire».

ISABELLE HANNE Correspond­ante à New York

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