Libération

Le tri des déchets en Allemagne, ou le premier des sept cercles de l’enfer

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Tout a commencé par un regard suspicieux jeté sur ma poubelle. «Dis donc, tu tries pas très bien tes déchets.» Cette amie a lâché ça dans ma cuisine, avant de s’excuser: «Il faut me comprendre, je me suis germanisée au fil des ans.» Les Allemands sont les premiers de la classe en matière d’écologie citoyenne. Ils SAVENT trier leurs déchets. Ils AIMENT ça. Ils ont un DOCTORAT en la matière. Se rendre au local à poubelles peut vite tourner au cauchemar. Exemple: les déchets en verre se trient par trois couleurs : vert, marron, blanc. Comment décrire les pensées qui se bousculent lors de la sélection –cette bouteille estelle vert foncé ou marron clair ? Ai-je tout faux ? Quelqu’un va-t-il me réprimande­r? Il est aussi interdit de jeter le verre dans les poubelles publiques les dimanches ou jours fériés, pour ne pas déranger les riverains. C’est indiqué sur les conteneurs avec force points d’exclamatio­ns – la fameuse touche passive agressive allemande. Ainsi, l’un de mes pires moments de honte citoyenne fut lorsque j’ai jeté, le 1er janvier, des bouteilles dans ma poubelle de quartier. J’ai regardé autour de moi: personne. J’ai fui. Ici, il est possible de soutenir très longuement une conversati­on sur le sujet. J’ai déjà expliqué à un Allemand, plutôt fière, que je lavais mes bocaux avant de les mettre à la poubelle. Erreur, m’a-t-il dit. L’eau de la vaisselle engendre une coûteuse dépense d’énergie, et ne parlons pas de la toxicité du détergeant. La solution ? Racler le pot avec une cuillère pas encore lavée, voyons.

Il y a aussi la consigne, le Pfand. Le concept est formidable, ai-je pensé. Mais c’était avant de découvrir le tableau de consigne de mon supermarch­é. Bilan : on arrive avec un chariot plein de bouteilles et on repart le crâne en miettes, munie d’un bon d’achat de 1,20 euro. Il ne s’agit pas de tailler en pièces le vertueux système de recyclage allemand. C’est à bien des égards un modèle à suivre. Mais il suscite souvent un profond sentiment de culpabilit­é. La sensation de toujours mal faire. Par ailleurs le système de la consigne a fait ses preuves, le ministère de la Transition écologique en France souhaite d’ailleurs s’en inspirer. Mais il est hélas imparfait: les bouteilles de plastique à usage unique, ainsi que les canettes, ne sont pas entièremen­t recyclées. Elles peuvent donc, elles aussi, terminer leur course dans les océans. Et cela n’ira pas en s’arrangeant, vu que leur consommati­on ne cesse d’augmenter. D’où ce paradoxe : tandis que ses citoyens font de leur mieux pour bien trier leurs déchets, l’Allemagne reste l’un des premiers producteur­s européens d’emballages plastiques. Et expédie un grand nombre de ses déchets en Pologne, Bulgarie ou Roumanie. Concluons par une histoire du cru : celle de ce type jugé en avril pour avoir détourné 1,2 million d’euros en trafiquant des machines de consigne : il récupérait l’argent destiné au recyclage des mêmes bouteilles. •

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