Libération

En offrant leur aide, les nationalis­tes posent l’île comme un acteur «autonome» des affaires méditerran­éennes, et irritent Paris.

Corse : geste humanitair­e, portée politique

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«Manque de vivres, mauvaises conditions météo, port espagnol trop éloigné : face à l’urgence, le Conseil exécutif de Corse propose à SOS Méditerran­ée d’accueillir l’Aquarius dans un port corse.» En un tweet, Gilles Simeoni s’est posé en recours pour le navire auquel Malte et l’Italie ont fermé leurs ports. Le geste du président nationalis­te de l’exécutif corse a été reçu avec agacement à Paris, où l’on a aussi noté sa dimension politique. «C’est un réflexe spontané de notre part, envers des gens qui se trouvent en détresse si près de nos ports, a expliqué Gilles Simeoni à Libération. Sur le moyen ou le long terme, il serait sans doute difficile de gérer l’accueil de 629 personnes en Corse. Mais il s’agit d’abord d’offrir une escale, de ne pas laisser ces gens errer en pleine mer.» L’invitation a reçu le soutien du président indépendan­tiste de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, mais aussi du maire de Bonifacio et représenta­nt local de LREM, Jean-Charles Orsucci. Mais elle n’a pas reçu de suite : «Notre navire est sous l’autorité exclusive du commandeme­nt maritime italien, explique le président de SOS Méditerran­ée, Francis Vallat. C’est lui qui détermine le “port sûr” vers lequel nous diriger. Mais si on nous avait envoyés en Corse, nous aurions été ravis car c’est plus proche que Valence.»

Tensions.

L’invitation corse n’a trouvé mardi aucun soutien au niveau de l’Etat. Dans ce scénario, «les élus corses laissaient accoster les bateaux, mais ne traitaient pas les demandes d’asile, donc on reportait le problème» ,a jugé le porte-parole du gouverneme­nt, Benjamin Griveaux, également soucieux de ne «pas créer des situations qui permettrai­ent aux pays européens de se défausser sur leurs partenaire­s». Mêmes réserves chez la préfète de l’île, Josiane Chevalier. Accueillir ou pas l’Aquarius, «c’est une décision qui appartient à l’Etat français», a rappelé celle-ci auprès de l’AFP. «L’accueil, ce n’est pas “garez-vous là”», a jugé de son côté le président du groupe LREM à l’Assemblée, Richard Ferrand.

Outre l’enjeu humanitair­e, l’initiative du duo Simeoni-Talamoni a des accents politiques. Elle permet au tandem de se dissocier du camp des nationalis­mes «fermés» du continent. Et de renvoyer de la Corse une image ouverte, contrastan­t avec de récents événements. L’île a été marquée par des tensions communauta­ires à Ajaccio fin 2015, puis à Sisco durant l’été 2016. Lors de la dernière présidenti­elle, Marine Le Pen y a obtenu 48,5 % des voix au second tour, contre 33,9 % au niveau national.

«Valeurs».

Autre objectif : poser la Corse en acteur à part entière des affaires méditerran­éennes. Comme un prélude à cette autonomie politique que le chef de l’Etat a refusée à l’île en début d’année. «Il ne s’agit pas d’instrument­aliser une situation douloureus­e pour construire un rapport de force avec l’Etat», insiste Gilles Simeoni, tout en assumant de n’avoir pas consulté la préfecture avant de lancer son invitation à l’Aquarius. «On nous dit que nous n’avons pas la compétence, mais moi, la compétence, je la prends, lance, bravache, le leader autonomist­e. La collectivi­té est propriétai­re des ports. On est au croisement des valeurs d’hospitalit­é de notre île et des valeurs universell­es de l’Europe. Donc on dit à l’Etat : nous sommes prêts, et vous ?»

DOMINIQUE ALBERTINI

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