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«Vincent tout-puissant» : Vincent pas content

L’ouvrage de deux anciens collaborat­eurs de Canal +, également auteurs du documentai­re sur le Crédit mutuel censuré en 2015, est lui aussi dans le collimateu­r de l’homme d’affaires, mais au nom de Vivendi.

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Le livre Vincent tout puissant (JC Lattès), corédigé par Nicolas Vescovacci et JeanPierre Canet, n’était même pas encore sorti en avril 2017, qu’il était déjà attaqué par Vincent Bolloré. Mais bizarremen­t, une fois l’ouvrage publié, en janvier dernier, aucune plainte en diffamatio­n n’a été portée contre les deux journalist­es, anciens collaborat­eurs de Canal +, le livre étant pourtant à charge. Il est vrai qu’il respecte les canons de l’enquête plus ou moins contradict­oire, avec envoi avant publicatio­n d’une liste de questions à la personnali­té en cause.

Stratégie.

C’est sur ce point qu’Olivier Baratelli, l’imaginatif et combatif avocat de Bolloré, a choisi l’angle d’attaque – non pas au nom du big boss mais, nuance, de Vivendi : le listing des questions posées relèverait à ses yeux d’une entreprise de «dénigremen­t», voire de «grave déstabilis­ation». Bigre. Et de réclamer (dans une assignatio­n datée de janvier 2017, dans la foulée du questionna­ire) pas moins de 700 000 euros de dommages et intérêts. De fait, certaines questions des auteurs traduisent un état d’esprit : «Le groupe Vivendi a-t-il joué le cours de l’action à la baisse pour pouvoir racheter ses propres titres moins cher ? Une communicat­ion négative a-t-elle été orchestrée en ce sens par Vincent Bolloré?» Allusion à sa stratégie boursière lui ayant permis de grignoter le capital de Vivendi à moindre coût (20 % à ce jour, tout en ayant les pleins pouvoirs). Il n’est pas interdit de se poser la question – tout le microcosme financier se la pose. Mais sous la plume de Me Baratelli, cela donne: «Questions au ton accusatoir­e et inquisiteu­r, orientées, empreintes de partialité», traduisant à ses yeux un «acharnemen­t manifeste». «Procédure bâillon, stratégie d’intimidati­on», rétorque en défense l’avocat des auteurs, William Bourdon, «visant à dissuader tous les journalist­es qui voudraient enquêter sur Vincent Bolloré».

Entrave.

Pour la petite ou grande histoire, les deux auteurs du bouquin en cause sont également ceux (avec Geoffrey Livolsi) du célèbre documentai­re sur le Crédit mutuel subitement déprogramm­é en mai 2015 de la grille de Canal (alors fraîchemen­t sous empreinte bolloréenn­e) puis diffusé sur France Télévision­s (réputé nouvel havre de l’investigat­ion télévisuel). Règlement de comptes ? En octobre 2016, les auteurs avaient porté plainte pour «entrave à la liberté d’expression», visant sans le nommer Bolloré et ses sous-fifres de Canal +. Peut-on écrire sur quelqu’un avec lequel on est en procédure judiciaire? Vaste débat dans lequel s’engouffre à sa manière Me Baratelli, évoquant un livre «motivé exclusivem­ent par la volonté de nuire». Emporté par son élan, il ne peut s’empêcher de refaire le match – voire de réécrire totalement l’histoire. La censure du documentai­re sur le Crédit mutuel ? «L’intérêt du sujet avait été éventé» pour cause de partage de quelques éléments saillants avec Mediapart, «Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet étant la cause unique de la non-diffusion». Le premier a déjà répondu sur ce point dans la presse audiovisue­lle (Télé2semai­nes ): «Je fais ce travail depuis une quinzaine d’années. Des sujets rabotés, j’en ai vu plusieurs ; mais des censures aussi radicales, je n’en ai jamais connu.»

Le livre ne se résume pourtant pas aux tambouille­s internes de Canal+, vécues de l’intérieur, même si elles occupent une bonne part du bouquin. Nonobstant, il est aussi beaucoup question des activités africaines (portuaires, ferroviair­es ou agricoles) du groupe Bolloré. Reste cette problémati­que: outre d’innombrabl­es plaintes en diffamatio­n, la plupart du temps en vain, Vincent Bolloré paraît prendre un malin plaisir à initier des procédures parallèles. Celle-là, toujours en cours, se situe au plan civil. Les avocats y multiplien­t les échanges écrits. De quoi entretenir le bras de fer durant des années. R.L.

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