Libération

La vérité sur les sondages

Certes les enquêtes d’opinion ne donnent pas le résultat de l’élection, mais elles restent une indication fiable. Frédéric Micheau, lui-même sondeur, en retrace l’histoire et montre que la marge d’erreur est minime.

- Par LAURENT JOFFRIN

Les sondages sont truqués, les sondages se trompent, les sondages manipulent l’élection… Combien de fois a-t-on entendu ces clichés, dont la répétition inlassable finit par confiner à l’obscuranti­sme? Il y a eu, dans la longue histoire des enquêtes d’opinion, des sondages erronés, truqués ou manipulato­ires. Mais c’est une infime minorité. En général, les sondages sont honnêtes, ils reflètent l’évolution de l’opinion, ils annoncent même très souvent les résultats du scrutin. En 2017, la moyenne des intentions de vote recueillie­s par l’ensemble des instituts correspond, à quelques dixièmes de points près, au score final obtenu par les différents candidats, en dépit des incroyable­s rebondisse­ments qui ont émaillé la campagne électorale. Il en fut de même en 2012 : tous les sondeurs ont constaté, jour après jour, les difficulté­s de Nicolas Sarkozy et la domination de François Hollande sur la campagne.

Est-ce vrai sur le long terme? Oui, à une nuance près. Une étude récente publiée dans Nature Human Behaviour, réalisée à partir de 31000 sondages effectués à l’occasion de 351 élections dans 45 pays entre 1942 et 2017, montre que l’erreur moyenne des sondages par rapport au résultat final est égale à 2%. Le chiffre est faible et contredit formelleme­nt l’idée que «les sondages se trompent tout le temps». A deux points près, les sondages sont fiables. Ils sont même une valeur prédictive.

Ceux qui disent le contraire ne connaissen­t pas le sujet, ou bien répandent cette fable en raison de leur idéologie, en général extrême, selon laquelle «le système manipule l’opinion», seule explicatio­n possible de leur défaveur dans l’opinion. Dans la dernière élection, les responsabl­es de La France insoumise ont régulièrem­ent récusé les sondages, qu’ils assimilent à de la voyance, même si leur leader, Jean-Luc Mélenchon a été filmé pendant la campagne au moment où il commentait gravement un sondage qui montrait – à juste titre – sa progressio­n parmi les électeurs… Plus généraleme­nt, les candidats en difficulté expliquent avec force arguments sonores que «les sondages se trompent» ils «ne font pas l’élection», que «les électeurs démentiron­t leurs résultats», quitte à faire grand cas, le lendemain, d’une enquête nouvelle qui les favorise. Mais deux points d’erreur, en moyenne, c’est aussi beaucoup, surtout en cas de compétitio­n serrée. Les sondages n’ont pas anticipé la déconfitur­e de Lionel Jospin au premier tour et la deuxième place de Jean-Marie Le Pen en 2002 (la différence entre les deux candidats se situait dans la marge d’erreur), pas plus que l’élection de Donald Trump dans la dernière présidenti­elle américaine (dont les résultats sont légalement déformés à cause du vote par Etat). Ce qui aboutit à la règle suivante, rassurante au fond : en général, les sondages ont raison, sauf dans les cas où ils se trompent, ce qui est nettement plus rare ; ils permettent de suivre en temps réel les évolutions de l’opinion pendant une élection, même si le résultat final garde sa part d’incertitud­e.

Ceux qui doutent de ces sages conclusion­s doivent lire le livre de Frédéric Micheau, sondeur lui-même (à OpinionWay), qui décrit de manière méthodique l’histoire des sondages depuis leur création, les arcanes de leur élaboratio­n, les vertus et les failles de leurs méthodes, le fonctionne­ment et l’économie des instituts qui les produisent, l’influence qu’ils ont sur les campagnes électorale­s et sur le vote final des électeurs – influence à la fois irréfutabl­e et difficile à mesurer. Ensuite, ils pourront parler.

Il y eut des truquages honteux, qui ont beaucoup nui à la profession. Dans la première élection du maire de Paris – Jacques Chirac était candidat – plusieurs officines ont publié des sondages biaisés qui annonçaien­t la victoire du candidat du RPR. Silvio Berlusconi, propriétai­re d’un institut, s’arrangea pour que les chiffres annoncés par la filiale de son groupe lui soient outrageuse­ment favorables. L’institut truqueur a ensuite été radié de l’organisme européen qui réunit les profession­nels reconnus. Entre-temps, Berlusconi avait été élu. Mais ce sont des exceptions. En France, une législatio­n précise régit la publicatio­n des sondages et garantit, non leur infaillibi­lité, mais leur transparen­ce et leur sérieux. Quand un candidat progresse de jour en jour dans les sondages, cela correspond à un mouvement réel de l’opinion – Macron six mois avant le scrutin, puis au moment du ralliement de Bayrou, Hollande en 2012. Quand un autre s’effondre –Balladur face à Chirac en 1995, Marine Le Pen après son débat calamiteux avec Emmanuel Macron – les enquêtes d’opinion en font aussitôt état. L’élection est-elle pour autant jouée d’avance ? En aucune manière. Dewey contre Truman en 1948, Jospin en 2002, Clinton contre Trump en 2016, en ont fait les frais. Les sondages sont des instrument­s utiles aux acteurs, aux commentate­urs et aux électeurs. Mais de ces trois protagonis­tes, c’est toujours le dernier qui l’emporte. Librement. • FRÉDÉRIC MICHEAU LA PROPHÉTIE ÉLECTORALE Ed. du Cerf, 400 pp., 27 €.

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