Libération

Littératur­e de bas hommage

Mike Newell se complaît dans un film d’époque, fade copie du cinéma des années 50.

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De la musique qui dégouline sur chaque image, une jeune première (la charmante Lily James, dont le visage étonné et les grands yeux perplexes envahissen­t l’écran en gros plan), de la brume – on est à Londres mais aussi à Guernesey – et une impression globale de carton-pâte, comme s’il fallait à tout prix sursignifi­er le film d’époque. Et peu importe laquelle, en fait : on est dans l’histoire, en l’occurrence juste après la Seconde Guerre mondiale – mais on nous indiquerai­t une autre décennie qu’on serait tout aussi crédule. Pour qui a une habitude réduite des codes de ce genre de production intello-mainstream, le film est constammen­t surprenant : on ignore comment le réalisateu­r Mike Newell s’y prend pour réussir à être aussi impersonne­l, parvenir à ce qu’il n’y ait pas un seul plan qui le désigne, lui, en tant que cinéaste. Périodique­ment nous prend l’envie de rediriger les acteurs, de demander à Lily James, si parfaite cependant, de ne pas nécessaire­ment mettre la main devant son visage, pour jouer l’émotion lorsqu’elle reçoit une demande en mariage. On comprend mieux d’où provient cette facture surannée –de copie de copie de copie de films hollywoodi­ens des années 50 – lorsqu’on regarde la filmograph­ie récente de Mike Newell, adaptateur à l’écran d’un Harry Potter, de l’Amour au temps du choléra, mais aussi de Dickens avec De Grandes Espérances .La littératur­e, pourvu que les titres soient connus planétaire­ment, ne l’effraie pas. Il s’agit donc encore une fois de l’adaptation d’un best-seller, le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, roman épistolair­e de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, dont le long et intrigant titre anglais a malheureus­ement été coupé par les décideurs français. L’héroïne, Juliet Ashton, est une écrivaine londonienn­e mal à l’aise avec son unique best-seller, quand elle reçoit la lettre d’un membre d’un étrange club littéraire à Guernesey. Les épluchures de patates qui le nomment sont une allusion aux tourtes cuisinées pendant la guerre lorsque l’armée allemande avait interdit aux habitants de l’île de faire rôtir le moindre cochon –non par amour des bêtes, mais parce que seuls les nazis devaient être convenable­ment nourris. De même que la nourriture, les livres et leurs auteurs continuent de faire défaut après la guerre. Le cercle a bien reçu une «écrivaine», mais elle a failli leur donner faim car elle était auteure d’un livre de recettes – une femme, forcément. Par chance, il y a la timide mais aventurièr­e Juliet, – obligatoir­ement auteure d’une biographie d’une soeur Brontë– prête à tout pour découvrir ce qui se cache derrière les membres pittoresqu­es, finalement pas si avenants, et la beauté de l’océan en furie. Le film tient à son intrigue, pourquoi ne pas accepter sans broncher qu’on nous la narre ? Mais le cinéaste nous perd, du coup définitive­ment, lorsqu’il choisit d’illustrer les lettres lues en voix off sous la forme de laborieux flash-back.

ANNE DIATKINE LE CERCLE LITTÉRAIRE DE GUERNESEY de MIKE NEWELL avec Lily James, Michiel Huisman… 2 h 03.

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