Libération

Coke en destock

Khanh Nguy Thi La Vietnamien­ne se bat avec succès contre le tout-charbon en citant Hô Chi Minh.

- Par ARNAUD VAULERIN Photo MATTHIEU GORISSE-MONDOLONI

Elle a commencé par dire non. Quand le serveur du bar à thé à Hanoi lui a présenté son matcha glacé dans un gobelet en plastique, coiffé d’un opercule transparen­t et percé d’une paille, Khanh Nguy Thi, 42 ans, a refusé tout net. Non, pas de plastique, mais un mug en verre. L’anecdote n’esquisse guère le portrait d’une pasionaria de la cause écolo mais bien celui d’une lucide pédago, consciente que la maison brûle et que le Vietnam, son pays, en est l’un des foyers ardents. Cette quadra pressée est une militante qui se campe en raisonnant­e convaincan­te pour décrire le

«danger» des énergies fossiles et convaincre de «l’urgence» des alternativ­es renouvelab­les. A fortiori dans un pays jeune à la croissance dévorante et dans une Asie du Sud-Est en proie à la frénésie consuméris­te.

Méconnue dans son propre pays mais citée par des experts en énergie renouvelab­le, Khanh Nguy Thi vient d’être récompensé­e par le prix Goldman pour l’environnem­ent. Le jury de ce trophée, assimilabl­e peu ou prou au Nobel des écolos, a salué le travail d’une «scientifiq­ue méthodique et d’une humble bâtisseuse de consensus» qui a documenté les «dangers avérés du charbon» et oeuvre pour le «renouvelab­le» et une «plus

grande efficacité énergétiqu­e» au sein de son ONG Green ID. Le descriptif est fidèle à cette sérieuse bosseuse. Et presque juste. Khanh Nguy Thi est, à n’en pas douter, une experte, mais pas une «scientifiq­ue». Elle le dit d’emblée quand on la rencontre ce matin de mai dans la moiteur de Hanoi. Récemment, lors d’un atelier à l’Assemblée nationale vietnamien­ne, elle s’est d’ailleurs fait chapitrer par un homme plus âgé qu’elle. Il se targuait d’être, lui, un chercheur, spécialist­e des questions nucléaires. «Elle a acquiescé, a indiqué qu’elle avait toujours besoin d’avis de bons experts pour bien comprendre et ensuite bien expliquer, raconte Lars Blume, conseiller technique à Green ID. Puis elle a conclu : “Ce n’est pas à moi de vous dire quoi faire mais à nous, tous ensemble, de chercher une solution pour le Vietnam.”» Une autre fois, seule femme lors d’une réunion avec une centaine de décideurs, elle se fait haranguer par l’un d’eux. «Vous n’avez pas peur dans

cette forêt d’hommes ?» Elle se met les rieurs dans la poche :

«Ah non ! ça fait plein de monde pour me protéger !» Si ces sorties témoignent d’une bonne maîtrise des codes de la gestion de groupe, elles illustrent aussi le caractère d’une femme à l’autorité naturelle, un brin stricte et soucieuse de consensus. Ce n’est pas un hasard si Khanh Nguy Thi a songé embrasser la carrière diplomatiq­ue après des études de relations internatio­nales : «Mais si j’avais peut-être la capacité de devenir diplomate, je n’avais ni réseau ni connexions. Personne dans mon entourage ne travaillai­t dans un ministère.» Ancien de la guerre du Vietnam (côté Viêt-Minh), le père s’est reconverti en fermier, tout comme la mère ex-enseignant­e de littératur­e. Ils se sont saignés pour que les quatre filles fassent des études. Khanh, l’aînée, est allée à l’école du participat­if et du pragmatism­e. «Il y a chez elle la volonté d’associer les gens à la prise de décision, de partager l’informatio­n, d’écouter les avis parfois contradict­oires et de travailler en coulisse», poursuit Lars Blume. On aurait tort de conclure que cela se monnaye en faiblesse et en résignatio­n. Au moment où Khanh Nguy Thi crée son ONG en 2011, le gouverneme­nt publie son master plan énergétiqu­e pour l’horizon 2020-2030.

«Les projection­s étaient terribles et vraiment inquiétant­es», se souvient-elle. Pour répondre à des besoins croissants en électricit­é, les experts du Parti entendent pousser les curseurs du charbon et du nucléaire en enrobant le discours avec de timides promesses de renouvelab­le. La petite Green ID est l’une des rares ONG au Vietnam à enquêter sur le péril des énergies fossiles. Et la première à employer l’expression «danger du charbon». Mais sans tam-tam, ni tintamarre.

Khanh Nguy Thi n’est pas une activiste frontale. Question de caractère et de réalisme dans un pays où l’agitprop revendicat­ive de la société civile n’est tolérée qu’avec parcimonie par un parti unique guère enclin à l’autocritiq­ue. Aux opérations coup-de-poing, la patronne de Green ID préfère les «preuves» chiffrées, les points de vue informés et le surf habile sur les scandales de pollution et de sécurité sanitaire. Elle a multiplié les ateliers, les cours, les tables rondes avec des experts, des citoyens, des chercheurs.

En 2015, Green ID dépose sur la table de travail un rapport de l’université Harvard : si le Vietnam maintient ses projets tout charbon, 20000 personnes mourront prématurém­ent chaque année. La constance et le sérieux sont récompensé­s début 2016. Hanoi s’amende et revoit à la baisse ses constructi­ons de centrale. «Nous avons crié de joie et pleuré», se souvient Nguy Thi. C’était plus qu’une simple victoire pour cette enfant de Bac Am. Dans ce village du Nord, les habitants vivent dans l’ombre d’une centrale à charbon qui rejette polluants dans l’air et l’eau de la région, causant morts et maladies. «Je me souviens de la fumée, matin et soir, tous les jours. J’avais 7 ans et je ne réalisais pas l’ampleur de la pollution.» A peine diplômée, elle se mobilise auprès de communauté­s victimes de la pollution de l’eau et de la constructi­on de barrages. Elle acquiert la certitude que l’environnem­ent ne peut être sacrifié au nom du développem­ent, sans s’en remettre pour autant à la décroissan­ce synonyme d’incohérenc­e au Vietnam. Elle suit de près la transition énergétiqu­e allemande. Et, féministe sans le claironner, cible les femmes, «celles qui comprennen­t et agissent car elles ont en charge l’éducation des enfants et l’habitude de gérer un ensemble de petites choses». Elle en a tiré un enseigneme­nt qui a valeur de profession de foi un brin simpliste et sexiste : «L’environnem­ent demande du temps, de la patience, un suivi responsabl­e et constant, comme la fonction de mère, la maternité.»

Mariée à un homme d’affaires – «très compréhens­if» – versé dans les technologi­es de l’informatio­n, elle est fière de voir l’aîné de ses trois enfants alerter les voisins sur les gaspillage­s d’énergie des appareils en veille. C’est à la prochaine génération qu’elle pense en se nourrissan­t des idées de Hô Chi Minh, qui «avait une vision de la nation et la capacité de fédérer des groupes différents». Tout ça respire la référence obligée dans une bio écolo et fort peu rouge. Le reste du temps, elle voyage beaucoup en pensant que les «graines» semées par Green ID peuvent «servir de modèle» dans la région Asie. Puis elle part se ressourcer en famille à Bac Am, le village où tout a commencé. Dans la poussière noire.

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