Libération

Paris et Rome se déchirent sur l’«Aquarius»

Ulcérée par les critiques de la France à son encontre à propos de l’«Aquarius», l’Italie menace de reporter la visite du Premier ministre, Giuseppe Conte, à Paris. Macron appelle à «ne pas céder à l’émotion».

- Par ÉRIC JOZSEF Correspond­ant à Rome Dessin WILLEM

«J’espère que la France présentera ses excuses.» Droit dans ses bottes, Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur et homme fort du nouveau gouverneme­nt populiste italien, continue de montrer les muscles. Après la convocatio­n de l’ambassadeu­r de France en Italie par le ministre des Affaires étrangères, Enzo Moavero Milanesi, le leader d’extrême droite s’est présenté mercredi matin au Sénat pour rendre compte de la gestion de l’affaire de l’Aquarius. Il est auparavant revenu sur les déclaratio­ns d’Emmanuel Macron qui avait dénoncé la veille la «part de cynisme et d’irresponsa­bilité du gouverneme­nt italien» après son refus d’accueillir le navire et ses migrants.

«La France dit que nous sommes cyniques, mais du 1er janvier au 31 mai, elle a refoulé à la frontière 10 249 personnes, y compris des femmes, des enfants et des handicapés», a taclé Matteo Salvini, invitant «Macron» à passer des paroles aux actes: «Qu’il accueille demain matin les 9 000 migrants qu’il s’était engagé à accueillir», a-t-il lancé en référence à l’accord de relocalisa­tion de 2015 qui prévoyait que Paris prenne sa part du fardeau italien alors qu’un peu plus de 600 personnes seulement ont été acceptées en France dans le cadre de cette procédure.

«MACRON NE ME FAIT PAS PEUR»

Au passage, Salvini a également pris à partie le chef du gouverneme­nt espagnol, Pedro Sánchez, qui a décidé de faire accoster l’Aquarius dans le port de Valence: «Je le remercie de son bon coeur mais j’espère qu’il exercera aussi sa générosité dans les prochaines semaines puisqu’il a de l’espace pour le faire», rappelant que Madrid n’avait accueilli qu’un nombre minimal de réfugiés au cours des dernières années. Et alors qu’une sénatrice de l’opposition tentait de brandir un carton en signe de protestati­on dans l’hémicycle, Matteo Salvini, brava- che, a répliqué : «Macron ne me fait pas peur alors c’est pas un carton qui va le faire.»

Le président du Conseil, Giuseppe Conte, ainsi que les responsabl­es du Mouvement Cinq Etoiles, sont sur la même ligne que le ministre de l’Intérieur. Et la tentative du porteparol­e de LREM, Gabriel Attal, de minimiser ses propos après avoir déclaré dans le sillage d’Emmanuel Macron que l’attitude de l’Italie vis-à-vis de l’Aquarius était «à vomir», n’a pour l’heure pas calmé les tensions entre Rome et Paris. «Je voudrais contextual­iser la phrase que j’ai prononcée à chaud», a-t-il expliqué dans les colonnes de La Repubblica. «J’ai dit cela en pensant aux personnes à bord de l’Aquarius et en entendant les paroles d’un ministre [Matteo Salvini, ndlr] qui criait victoire face à une grave situation humanitair­e.» «Nous devons nous faire respecter, il faut un signal de Macron», a de son côté réagi Giuseppe Conte qui, en l’absence d’excuses, a laissé planer le renvoi de la visite qu’il doit effectuer vendredi à Paris. «Nous sommes parfaiteme­nt conscients de la charge que la pression migratoire fait peser sur l’Italie et des efforts que ce pays fournit, a déclaré mercredi après-midi un porte-parole du Quai d’Orsay. Aucun des propos tenus par les autorités françaises n’a bien entendu remis cela en cause.» Cette mise au point sera-t-elle suffisante? «Si les excuses officielle­s n’arrivent pas, le Premier ministre Conte fera une bonne chose en n’allant pas en France», a relancé Matteo Salvini. Le ministre de l’Economie, Giovanni Tria, a déjà annoncé l’annulation de sa réunion prévue à Paris avec son homologue Bruno Le Maire. Sans s’excuser, Macron a pourtant assuré mercredi «travailler main dans la main avec l’Italie» sur la gestion des flux migratoire­s.

INDIGNATIO­N

Dans l’opinion publique italienne, les déclaratio­ns d’Emmanuel Macron ont provoqué une vive indignatio­n. Mercredi matin, en une du grand quotidien national Corriere della Sera, on trouvait une caricature du président français «pris au pied de la lettre» en train de vomir le mot «fraternité». Et dans La Stampa, Ric-

cardo Barenghi, l’ancien directeur du quotidien communiste Il Manifesto, ironisait: «Brûlez cette chronique immédiatem­ent après l’avoir lue» mais «cette fois, Conte a raison». Matteo Salvini semble avoir réussi son opération : faire admettre l’idée d’une Italie abandonnée par ses partenaire­s européens face à une hypothétiq­ue invasion migratoire, alors que depuis le début de l’année, moins de 15000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes. Et il peut compter sur le soutien du hongrois Viktor Orbán et du chancelier autrichien Sebastian Kurz qui a annoncé la création d’un «axe» Rome-Vienne-Berlin sur la question migratoire (lire ci-contre) : «Je suis heureux de la bonne coopératio­n que nous voulons bâtir.» •

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