Un «pognon de dingue» pour Macron
Attendu sur un rééquilibrage social de sa politique, Emmanuel Macron a envoyé des signaux contradictoires : une vidéo aux propos provocateurs, avant l’annonce d’un meilleur remboursement des soins.
Estimant sans doute qu’un long discours n’y suffirait pas, Emmanuel Macron a jugé utile de mettre en ligne sur Twitter, mardi dans la nuit, un résumé percutant de sa philosophie en matière de protection sociale. La voici donc, brut de décoffrage : «On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent
pas», lance le chef de l’Etat, dans le huis-clos de son bureau, alors qu’il résumait devant ses collaborateurs, le message qu’il se préparait à délivrer le lendemain à Montpellier, devant le congrès de la Mutualité française. Sa conseillère en communication, Sibeth Ndiaye, explique que cette forme originale de teasing politique permet de toucher beaucoup plus de monde qu’une longue déclaration, prononcée en milieu de journée devant quelques centaines de personnes.
De fait, l’expression «pognon de dingue» a enflammé les réseaux sociaux, réveillant les controverses sur «le mépris de classe» qu’auraient déjà laissé transparaître les fameuses sorties sur «les fainéants» ou «les illettrés». Pas sûr, donc, que cette opération de communication politique puisse être qualifiée de franc succès. A Montpellier, devant un auditoire d’acteurs de la protection sociale, le discours a été nettement plus policé. Même si le message, sur le fond, était bien le même. Pendant plus d’une heure, Macron s’est employé à faire le constat d’une «faillite politique et morale». Celle d’un système de solidarité à bout de souffle, incapable de garantir des «droits
formels» qui n’existent que sur le papier. Loin de «la promesse républicaine» de justice sociale, la société française laisserait se creuser les inégalités, à l’image de son système scolaire, aujourd’hui «plus inégalitaire qu’il ne l’était il y a trente ans».
«Remise à plat». «Vous me sifflerez à la fin si vous voulez, mais laissez-moi terminer» ,a lancé Macron alors qu’il venait d’énoncer le principe de sa politique : «S’attaquer aux inégalités, c’est vouloir bousculer une société de
statuts.» En s’attelant aux «grands défis» contemporains (le système de soins, les retraites, la dépendance et l’exclusion), le chef de l’Etat se fait fort d’engager la construction d’un «Etat providence de la dignité et de l’émancipation». Sur le premier point, il a réservé aux représentants du mouvement mutualiste des annonces concrètes. Le remboursement intégral de certaines lunettes, prothèses dentaires et auditives (lire ci-contre), une «conquête essentielle» dans la lutte contre les inégalités. Selon le chef de l’Etat, la non-prise en charge des problèmes de vue serait «la première cause des mauvais apprentissages». Sur les retraites, le gouvernement devrait proposer non pas «une énième réforme budgétaire», mais une «remise à plat» de tout l’édifice, afin d’engager dès 2019 une «longue transition» vers un système par répartition dans lequel «un euro cotisé donne à chacun le même droit». Concernant le très coûteux financement de la dépendance, Macron a confirmé la construction d’un «nouveau risque», là encore dès l’année prochaine. Il en coûterait
«de 9 à 10 milliards d’euros», a ajouté le Président, sans en dire plus sur les financements envisagés. Ce sera, a-t-il dit, l’objet d’«un débat
national». Sur la lutte contre l’exclusion et la pauvreté, Macron a confirmé que «la réponse
ne saurait être monétaire». Explicitant son propos de la veille sur «le pognon de dingue», il propose de distinguer «l’accompagnement» de ceux qui peuvent «revenir vers le travail» et «la solidarité collective» à l’égard ce ceux qui
ne le peuvent plus. «Le travail comme clé de l’émancipation de toutes celles et de tous ceux qui peuvent y avoir accès», a-t-il insisté. Le manque d’«accompagnement» étant, selon lui, la cause de l’échec du RSA, dont 50% des allocataires le sont toujours quatre ans après y être entrés.
Ardoise. Ainsi familiarisé avec la philosophie du gouvernement, le public devra attendre encore pour en connaître la traduction budgétaire. Les détails seront précisés lors de deux échéances, entre fin juin et dé-
«On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas.» Emmanuel Macron mardi soir devant ses collaborateurs
but juillet : la publication d’un plan pauvreté censé remettre à l’honneur la fibre sociale du macronisme, et celle du plan «Action publique 2022», une grande réforme de l’administration qui touchera aussi à la Sécurité sociale. Mais la présentation de l’ardoise pourrait attendre un peu plus longtemps. C’est une constante dans la communication gouvernementale ces dernières semaines : l’ardoise des réformes à venir est dissimulée derrière de plus présentables objectifs, à commencer par une quête d’«efficacité». Une mise en scène dont une source ministérielle veut bien reconnaître auprès de Libération qu’elle n’est pas absolument
«sincère» : tout chiffre lancé dans le débat, explique-t-on, deviendrait un embarrassant point de fixation pour l’opposition et les commentateurs. L’exécutif s’efforce donc de dissocier ses projets des considérables économies qu’il s’est engagé à réaliser sur le quinquennat. La vérité des prix sera faite cet été, avec l’envoi aux ministères des lettres de cadrage, fixant les plafonds de dépenses pour le prochain exercice. C’est là que le «macronisme social» prendra (enfin) tout son sens.