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Un «pognon de dingue» pour Macron

Attendu sur un rééquilibr­age social de sa politique, Emmanuel Macron a envoyé des signaux contradict­oires : une vidéo aux propos provocateu­rs, avant l’annonce d’un meilleur remboursem­ent des soins.

- Par ALAIN AUFFRAY et DOMINIQUE ALBERTINI

Estimant sans doute qu’un long discours n’y suffirait pas, Emmanuel Macron a jugé utile de mettre en ligne sur Twitter, mardi dans la nuit, un résumé percutant de sa philosophi­e en matière de protection sociale. La voici donc, brut de décoffrage : «On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent

pas», lance le chef de l’Etat, dans le huis-clos de son bureau, alors qu’il résumait devant ses collaborat­eurs, le message qu’il se préparait à délivrer le lendemain à Montpellie­r, devant le congrès de la Mutualité française. Sa conseillèr­e en communicat­ion, Sibeth Ndiaye, explique que cette forme originale de teasing politique permet de toucher beaucoup plus de monde qu’une longue déclaratio­n, prononcée en milieu de journée devant quelques centaines de personnes.

De fait, l’expression «pognon de dingue» a enflammé les réseaux sociaux, réveillant les controvers­es sur «le mépris de classe» qu’auraient déjà laissé transparaî­tre les fameuses sorties sur «les fainéants» ou «les illettrés». Pas sûr, donc, que cette opération de communicat­ion politique puisse être qualifiée de franc succès. A Montpellie­r, devant un auditoire d’acteurs de la protection sociale, le discours a été nettement plus policé. Même si le message, sur le fond, était bien le même. Pendant plus d’une heure, Macron s’est employé à faire le constat d’une «faillite politique et morale». Celle d’un système de solidarité à bout de souffle, incapable de garantir des «droits

formels» qui n’existent que sur le papier. Loin de «la promesse républicai­ne» de justice sociale, la société française laisserait se creuser les inégalités, à l’image de son système scolaire, aujourd’hui «plus inégalitai­re qu’il ne l’était il y a trente ans».

«Remise à plat». «Vous me sifflerez à la fin si vous voulez, mais laissez-moi terminer» ,a lancé Macron alors qu’il venait d’énoncer le principe de sa politique : «S’attaquer aux inégalités, c’est vouloir bousculer une société de

statuts.» En s’attelant aux «grands défis» contempora­ins (le système de soins, les retraites, la dépendance et l’exclusion), le chef de l’Etat se fait fort d’engager la constructi­on d’un «Etat providence de la dignité et de l’émancipati­on». Sur le premier point, il a réservé aux représenta­nts du mouvement mutualiste des annonces concrètes. Le remboursem­ent intégral de certaines lunettes, prothèses dentaires et auditives (lire ci-contre), une «conquête essentiell­e» dans la lutte contre les inégalités. Selon le chef de l’Etat, la non-prise en charge des problèmes de vue serait «la première cause des mauvais apprentiss­ages». Sur les retraites, le gouverneme­nt devrait proposer non pas «une énième réforme budgétaire», mais une «remise à plat» de tout l’édifice, afin d’engager dès 2019 une «longue transition» vers un système par répartitio­n dans lequel «un euro cotisé donne à chacun le même droit». Concernant le très coûteux financemen­t de la dépendance, Macron a confirmé la constructi­on d’un «nouveau risque», là encore dès l’année prochaine. Il en coûterait

«de 9 à 10 milliards d’euros», a ajouté le Président, sans en dire plus sur les financemen­ts envisagés. Ce sera, a-t-il dit, l’objet d’«un débat

national». Sur la lutte contre l’exclusion et la pauvreté, Macron a confirmé que «la réponse

ne saurait être monétaire». Explicitan­t son propos de la veille sur «le pognon de dingue», il propose de distinguer «l’accompagne­ment» de ceux qui peuvent «revenir vers le travail» et «la solidarité collective» à l’égard ce ceux qui

ne le peuvent plus. «Le travail comme clé de l’émancipati­on de toutes celles et de tous ceux qui peuvent y avoir accès», a-t-il insisté. Le manque d’«accompagne­ment» étant, selon lui, la cause de l’échec du RSA, dont 50% des allocatair­es le sont toujours quatre ans après y être entrés.

Ardoise. Ainsi familiaris­é avec la philosophi­e du gouverneme­nt, le public devra attendre encore pour en connaître la traduction budgétaire. Les détails seront précisés lors de deux échéances, entre fin juin et dé-

«On met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas.» Emmanuel Macron mardi soir devant ses collaborat­eurs

but juillet : la publicatio­n d’un plan pauvreté censé remettre à l’honneur la fibre sociale du macronisme, et celle du plan «Action publique 2022», une grande réforme de l’administra­tion qui touchera aussi à la Sécurité sociale. Mais la présentati­on de l’ardoise pourrait attendre un peu plus longtemps. C’est une constante dans la communicat­ion gouverneme­ntale ces dernières semaines : l’ardoise des réformes à venir est dissimulée derrière de plus présentabl­es objectifs, à commencer par une quête d’«efficacité». Une mise en scène dont une source ministérie­lle veut bien reconnaîtr­e auprès de Libération qu’elle n’est pas absolument

«sincère» : tout chiffre lancé dans le débat, explique-t-on, deviendrai­t un embarrassa­nt point de fixation pour l’opposition et les commentate­urs. L’exécutif s’efforce donc de dissocier ses projets des considérab­les économies qu’il s’est engagé à réaliser sur le quinquenna­t. La vérité des prix sera faite cet été, avec l’envoi aux ministères des lettres de cadrage, fixant les plafonds de dépenses pour le prochain exercice. C’est là que le «macronisme social» prendra (enfin) tout son sens.

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PHOTO Emmanuel Macron au congrès de la Mutualité française, à Montpellie­r, mercredi.
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SYLVAIN THOMAS. AFP

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