Libération

Paradoxe

- Par LAURENT JOFFRIN

C’est toujours le sport de tous les vices. Pourtant, le public, toujours plus nombreux, lui trouve toutes les vertus. Implacable­ment, cette campagne de Russie footballis­tique se jouera devant la planète entière, enthousias­te, passionnée, fascinée. Ces milliers d’aficionado­s ne sont pas dupes. Un arbitre impartial se glisserait-il dans les coulisses du football qu’il distribuer­ait aussitôt une myriade de cartons rouges. Un «pognon de dingue», comme dirait Emmanuel Macron, des joueurs surpayés qui pratiquent souvent une optimisati­on fiscale digne d’Apple ou Facebook, une corruption endémique, de la violence à revendre dans les gradins, un chauvinism­e épais… La globalisat­ion du ballon rond n’a pas amélioré la rectitude du milieu. Mondialisa­tion heureuse ? Non : mondialisa­tion vicieuse. Et pourtant, il tourne… C’est aussi qu’il y a une morale interne au jeu, indépendan­te de son économie, et celle-ci – paradoxe un peu réconforta­nt – a tendance à s’améliorer. L’introducti­on de la vidéo dans l’arbitrage en est le premier symbole, à condition qu’elle ne conduise pas à l’illusion de la décision parfaite. Les conservate­urs pointeront le risque d’un ralentisse­ment du jeu. Outre que l’argument n’est pas démontré – on verra en fin de compétitio­n –, la vidéo inquiète les tricheurs bien plus que les spectateur­s. Les matchs gagnés sur une main grossière – ou une «main de Dieu» –, les fautes commises délibéréme­nt dans le dos de l’arbitre vont se raréfier. Le message est clair : les règles, acceptées par tous, doivent être respectées. Progrès dans la civilisati­on du sport spectacle. Et surtout, la pression du public a maintenu, développé même, la tradition du beau jeu, qui n’est pas synonyme de défaite glorieuse, mais – voir l’Allemagne, l’Espagne ou le Brésil – de succès à la marque. Consolatio­n symbolique ? Certes. Mais qu’est-ce que le sport de compétitio­n sinon un symbole ? •

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