Libération

Petites et grandes histoires du Mondial, et autres grenouillè­res

Les uns aiguisent leurs pronostics, d’autres fourbissen­t leurs semonces, les passions se libèrent… La Coupe du monde débute ce jeudi.

- RAMSÈS KEFI

La Coupe du monde débute et ce qu’elle draine d’exceptionn­el peut se décliner à n’importe quelle échelle. Grande : cet automne, le Panama a décrété jour férié le lendemain de sa qualificat­ion –la toute première de son histoire. Moyenne: des grandes boîtes proposent des jeux de pronostics à leurs employés et, par ricochet, une ruée vers tous les lots imaginable­s – du téléphone dernier cri à la grenouillè­re en lin. Des cadres parfumés toute l’année se mettent alors à puer le loup, des auréoles grandes comme ça sous les aisselles : ils cherchent partout le futur vainqueur de la compétitio­n et ça leur pèse –il faut rendre incessamme­nt sa grille de résultats. Petite : des novices, qui ont lu un guide du Mondial avec des lunettes de soleil et du caca dans les yeux, appellent des talk-shows pour expliquer à quel point tel sélectionn­eur ou tel milieu de terrain sont des billes. A part cela, des grincheux vous causeront d’opium, de peuple, de jeux et de pain. Manque de bol pour eux : les hommes passent, mais le football reste. Certains appellent ça le destin. Au total, 32 équipes, 64 matches et des histoires qui interrogen­t le football, en le toisant de haut en bas. L’Espagne, candidate à la victoire finale, a éjecté son sélectionn­eur à quarantehu­it heures de son premier match, lequel était invaincu depuis son embauche il y a deux ans (lire ci-dessous). L’Egypte, logée en Tchétchéni­e, a offert (volontaire­ment ou pas) à Ramzan Kadyrov (son président sanguinair­e) une publicité en diamant pur : ce dernier a posé avec Mohamed Salah, la superstar des Pharaons devenue coqueluche internatio­nale après sa magistrale saison à Liverpool. Sinon, une dizaine de joueurs du Mexique ont joué au papa et à la maman, des heures durant, avec des femmes de petite vertu. Les photos ont fuité dans la presse locale, Twitter se chargeant du reste. Certains ont dû s’expliquer dans la foulée avec leurs compagnes –les vraies mamans– et la fédération locale a invoqué le code du travail pour étouffer la polémique, les questions et les critiques : ils étaient en congé, ce qui relève du sacré.

Quid du terrain et des grands favoris? Qui gagne à la fin ? L’Allemagne (championne du monde en titre) ? Le Brésil (la nation la plus titrée)? Ou la France (vingt ans pile poil après la victoire de 1998) ? Mardi, le staff tricolore a manqué de perdre les eaux : Kylian Mbappé (jeune attaquant supersoniq­ue dont la valeur est estimée à 180 millions d’euros) a reçu un coup à la cheville, percuté à l’entraîneme­nt par Adil Rami (défenseur marseillai­s costaud et remplaçant). Il s’est allongé sur la pelouse près d’une minute, avant d’arrêter sa séance. Plus de peur que de mal, pour lui et la séquence vidéo d’Emmanuel Macron du mercredi sur «le pognon» et «la pauvreté», laquelle n’aurait peut-être pas résisté à la catastroph­e industriel­le Mbappé.

Quid de la Russie, pays hôte en grande difficulté footballis­tique, quand bien même celui-ci est tombé dans un groupe abordable (Arabie Saoudite, Egypte, Uruguay). Et quid des challenger­s ? Que valent-ils ce coup-ci ? L’Argentine (personne n’attend rien d’elle cette fois, mais il y a Lionel Messi) ? La Belgique (un empilement d’excellents joueurs mal inspirés) ? L’Espagne (ce qui ouvrirait une nouvelle réflexion sur le licencieme­nt) ? Le Portugal (champion d’Europe en titre) ? Ou une surprise magistrale, venue du Nord (l’Angleterre, sempiterne­l loser mais…), d’Europe de l’Est (la Croatie et son milieu de terrain génial) ou d’Afrique (le Nigeria est imprévisib­le) ? Nul ne sait. Sauf le lauréat de la grenouillè­re en lin.

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