Lopetegui viré : l’Espagne perd son coach… et ses espoirs ?
Après le licenciement du sélectionneur ayant signé au Real Madrid, à la veille du Mondial, le pays est sous le choc.
On était venu à Krasnodar, à la veille de l’ouverture du Mondial et à deux jours de l’entrée en lice de l’Espagne (un des favoris de la compétition, contre le Portugal, vendredi à Sotchi), pour s’entendre raconter en espagnol, en gros, que l’important serait les trois points. On a assisté à une cérémonie bizarre, tenant à la fois du psychodrame familial et d’une double mise en terre : celle des ambitions de l’équipe espagnole, plombées avant même le coup d’envoi du tournoi, et celle de son sélectionneur, Julen Lopetegui, licencié au lendemain de l’annonce de sa nomination au poste d’entraîneur du Real Madrid. La presse nationale était déjà en surchauffe depuis mardi, quand le tout nouveau patron de la Fédération espagnole de football, Luis Rubiales, lui a présenté sa plus belle tête d’enterrement, sur la place de Grève improvisée du stade FK Krasnodar où la «Selección» a établi son bivouac. Il avait été annoncé accompagné du sélectionneur dont l’absence, au final, tenait lieu de réponse affirmative aux rumeurs de licenciement.
Ridicule.
On a donc entendu la seule vérité de Rubiales, élu il y a tout juste un mois à la tête du foot de son pays : Lopetegui a bossé dur, il a fait un travail extraordinaire pour obtenir le meilleur de son équipe. Très bien. Pourquoi le virer, donc ? «C’était une décision difficile», et l’on imagine en effet qu’il n’est pas simple de limoger à l’avant-veille de l’entrée en scène un coach invaincu à son poste (14 victoires et 6 nuls en 20 matchs et une qualification pour la Russie obtenue sous les airs d’une symphonie jouée les yeux fermés): «L’équipe est ce que nous avons de plus précieux et la Coupe du monde est tout ce que nous voulons. Nous nous sommes sentis obligés visà-vis du peuple espagnol de faire le meilleur choix pour ne pas le trahir, même si nous savons que nous serons critiqués, et que nous l’aurions été autant si nous avions fait l’inverse.» A-t-il le sentiment d’abîmer sa fédération et toute une nation dans le ridicule, s’énerve un journaliste ? «Je vais rester poli : ce qui se passe est très douloureux, mais ce que nous ne pouvons pas faire, c’est ne pas respecter nos valeurs.» Les valeurs : une question de politesse, justement. Cinq minutes avant l’annonce, mardi, de la nomination surprise de Lopetegui pour succéder à Zidane sur le banc madrilène, Rubiales a reçu un appel de «quelqu’un» (le président du Real, Florentino Pérez, devine l’assistance) pour le prévenir. Or le premier acte présidentiel de Rubiales avait été de prolonger tout sourire le contrat de son sélectionneur dans un souci de continuité. C’était le 28 mai, Zidane entraînait encore le Real, une éternité.
On discerne sans mal quel enchevêtrement de conflits divers pouvait contenir l’éventuelle double casquette de Lopetegui: outre qu’il perdait ainsi la confiance des Barcelonais de son groupe qui l’avaient porté en poste, rien que la valorisation d’un type appelé à évoluer sous ses ordres la saison prochaine, en le faisant jouer au détriment d’un autre, aurait été sujette à débat. Mais à croire Rubiales, le problème était ailleurs, et n’eût été affaire que de forme –il n’aurait pas dû apprendre la trahison de son sélectionneur tandis que le communiqué du Real était déjà sous presse. Il dit peut-être vrai. Le jeune président du foot espagnol arrive en poste à la suite de trois décennies de système clientéliste et vastement corrompu, dont l’instruction est en cours. Il paie très cher pour établir son pouvoir sur le foot de clubs : alors que les équipes madrilènes et le Barça n’ont jamais tant gagné et été si riches, lui se trouve élu monarque d’un glorieux marécage.
Pompier.
Lopetegui vient donc de vivre vingt-quatre heures intéressantes. Il aurait pu être champion du monde, il a désormais un mois de vacances pour méditer sur l’assaisonnement de ses séances d’entraînement sous haute influence Barça à la sauce madrilène. Quant à Fernando Hierro, son successeur intérimaire désigné dans la foulée, il avait certainement vu son heure venir avant même celui qui l’a nommé. Figure de la maison Real et luimême directeur sportif de la fédération, il ne pouvait ignorer qu’il ferait figure de seul candidat sérieux à ce poste de pompier en chef : présent en Russie, il a les diplômes d’entraîneur (mais une expérience famélique comme coach), l’aura d’un exjoueur génial, une légende écrite à Madrid propice à réconcilier la Fédération, les tauliers du Real qui soutenaient Lopetegui, et un très beau sourire. En un mois de mission commando, il peut tout gagner, ou tout dilapider. Tout porte à croire que ce sont surtout ses joueurs – les Ramos, Iniesta ou Piqué, jouant là leur dernière couronne mondiale possible – qui détiennent la clé.