Libération

Les Bleus de Didier Deschamps, qui commencent leur Mondial samedi contre l’Australie à Kazan, sont guidés par une volonté unique : le foot à l’instinct.

Equipe de France : sans style, si subtile

- Par GRÉGORY SCHNEIDER Envoyé spécial à Istra

«La gagne.» Rires dans la salle. Le défenseur Benjamin Mendy sourit aussi, pas mécontent de son effet : la question portait sur l’identité de jeu des Bleus, aussi obscure, vue des tribunes, que les racines du monothéism­e. Du coup, on la repose : quel est le projet technique des tricolores, embringués dans une Coupe du monde qu’ils débuteront face à la sélection australien­ne samedi à Kazan? Le contrôle du ballon et du jeu, raccord avec le statut d’une équipe finaliste du dernier championna­t d’Europe (disputé à domicile il est vrai) ? Ou bien l’inverse, la contre-attaque, où la vitesse de ses attaquants (Ousmane Dembélé, Kylian Mbappé, Antoine Griezmann) fait merveille? «On joue en gagnant, explique Mendy. C’est ça, notre façon de faire. On travaille… une palette, je dirais. Mais l’identité, c’est la gagne.» Thauvin : «La manière dont on évolue dépend des matchs ou des équipes en face de nous. On peut faire les deux [assumer la possession du ballon ou attendre l’adversaire, ndlr], c’est le plus important.» Deschamps: «Je préfère avoir le ballon, mais on est plus performant­s en contre-attaque [en laissant le ballon à l’adversaire] qu’en attaque placée [en assumant la possession].» Puis : «Le style de jeu, ça veut dire quoi ? Combien d’équipes disputant le Mondial peuvent se prévaloir d’un style constant ? Une.»

Il veut dire l’Espagne, 10e au classement Fifa quand les Bleus sont 7e –une jauge certes décriée, mais elle vaut mieux que le café du commerce. Où l’on prête aux champions du monde en titre allemands une constance dans l’expression proche de celle de la sélection ibérique : Deschamps et les Bleus ayant justement affronté ces deux équipes récemment (0-2 devant l’Espagne à Saint-Denis en mars 2017, 2-2 à Cologne en novembre), il n’y a aucune chance pour qu’il réduise le périmètre à la seule équipe espagnole par hasard, et il faut y voir, comme toujours, le dehors (ceux qui parlent) et le dedans (ceux qui font), avec une ligne de partage d’autant plus difficile à franchir que les acteurs du jeu n’aident pas, à la fois méfiants et désillusio­nnés sur le football comme il se raconte.

Pourtant, il faut toujours écouter les joueurs. Et ils disent ceci : les Bleus ont 25 ans et 10 mois de moyenne d’âge, une équipe de gosses conçue comme une hydre à dix têtes sans passé ni futur immédiat, dont l’ethos consiste à respirer le moment de la façon la plus fine possible pour casser les reins de l’adversaire avec une rage froide – «la gagne» – en sortant le bon outil (ou le bon joueur, dirait Lemar) de la «palette» de jeu évoquée par Mendy. La mandature Deschamps est une modestie: une adaptation aux hommes et aux circonstan­ces là où son prédécesse­ur Laurent Blanc vendait (et vend encore) une «philosophi­e» clé en main.

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