Libération

INTIME CONVICTION

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on se balance d’un pied sur l’autre avec la main droite en visière audessus des yeux. Attention: ces célébratio­ns sont bel et bien travaillée­s… à l’entraîneme­nt. Le danger est donc dans le tableau. Griezmann s’en doute : «De l’extérieur, on peut avoir l’impression qu’on se la raconte un peu, mais ce n’est pas le cas.» Travailler les célébratio­ns des buts, c’est confondre l’essentiel et l’accessoire. Ça dit l’immaturité et la jeunesse : 14 des 23 joueurs que Deschamps a envoyés en Russie n’ont pas disputé l’Euro 2016, plus d’un milliard d’euros de valeur marchande pour le groupe France sur le marché des transferts (pas une sélection présente en Russie ne peut s’aligner), ce qui raconte la portée spéculativ­e. Ils seront forts, oui.

Mais là, tout de suite ? Les trois matchs amicaux disputés par les Bleus depuis un mois ont vu Paul Pogba faire preuve de discipline et rentrer dans le rang, c’est ça de pris, mais l’attaquant Kylian Mbappé est sorti comme un diable de sa boîte pour aspirer les Tricolores dans son sillage, les sauvant samedi d’une défaite qui aurait fait désordre en égalisant contre la sélection américaine (1-1) à Lyon et contraigna­nt le sélectionn­eur à se faire des noeuds dans le cerveau – un 4-4-2 (quatre défenseurs, quatre milieux et deux attaquants) avec un milieu disposé en losange ou un 4-3-3 avec permutatio­ns incessante­s de ceux de devant ? – pour faire cohabiter le mec qui danse comme dans Fortnite avec un Mbappé coté 180 millions d’euros à l’encan. Celui-ci arrive devant les micros après les matchs pour expliquer que bon, il se verrait bien jouer devant avec son pote Ousmane Dembélé (21 ans, FC Barcelone), lequel donne à Mbappé du «c’est le meilleur joueur de sa génération», avant de dire qu’ils ne se quittent pas d’une semelle. Mbappé, c’est l’homme neuf. Il sait que le foot se joue à onze : Dembélé sur le terrain, c’est ce bon vieux Olivier

La mandature Deschamps est une modestie : une adaptation aux hommes et aux circonstan­ces là où son prédécesse­ur vendait une «philosophi­e» clés en main.

Giroud (31 ans) sur le banc, lequel porte ses 31 buts en 71 sélections comme un bouclier et ses six points de suture récoltés contre les Américains comme les stigmates du Christ, l’attaquant de Chelsea ayant passé une vie en Bleu à souffrir de choses qui ne sont pas de son ressort, l’ombre écrasante d’un Karim Benzema écarté pour des raisons extrasport­ives hier, l’entrée fracassant­e de la jeune génération aujourd’hui. On va dire que Mbappé prend ses aises. Il a une confiance à traverser les murs, une saison au Paris-SG passée à filer le ballon à Neymar pour s’en faire un ami et, s’il jure en roulant ses grands yeux qu’il lui reste tant à apprendre, il a l’intime conviction d’avoir déjà saisi l’essentiel. A peine débarqué à Istra, Deschamps, champion du monde en 1998 dans une formation de trentenair­es, a été interrogé sur cette affaire : depuis quand un gamin de 19 ans se sent-il de faire l’équipe ? S’il a fini par dire qu’il n’était pas là «pour faire plaisir aux copains des copains», le sélectionn­eur a très largement accepté la question, parlant «affinité de style de jeu» et incluant Griezmann dans la boucle. Deschamps n’y peut plus grand chose. La compétitio­n débute et il sait qu’elle appartient aux joueurs. Autant dire à Mbappé, sur le berceau duquel Zidane, jamais loin des affaires tricolores lors des phases finales, vient tout juste de se pencher: «Fabuleux. Il faut le laisser tranquille car lui, il va faire ce qu’il faut sur le terrain.» On le laissera d’autant plus tranquille qu’il n’y a pas d’alternativ­e. C’est tout droit. Reste à savoir si c’est pour tout de suite. •

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