Libération

L’Allemagne courtisée par ses voisins anti-migrants

Profitant du désaccord entre Merkel et son ministre de l’Intérieur, Vienne souhaite établir un «axe» avec Berlin et Rome.

- JOHANNA LUYSSEN Correspond­ante à Berlin

Un «axe» Berlin-RomeVienne pour durcir la politique migratoire en Europe. Non seulement le terme utilisé par le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, mercredi à Berlin, revêt de glaçantes connotatio­ns historique­s, mais ce qu’il décrit est de nature à accentuer le désordre européen en matière de politique migratoire. D’autant que l’Autriche, qui prendra la présidence tournante de l’UE le 1er juillet, est bien décidée à faire du sujet une priorité. Le pays songe notamment à installer des «centres d’accueil» de migrants à l’extérieur de l’Union. Parmi les lieux envisagés, la presse évoque l’Albanie. Rappelons que le ministre autrichien de l’Intérieur, Herbert Kickl (FPÖ, extrême droite), est un ancien rédacteur des discours de Jörg Haider. L’Autriche, dirigée depuis l’automne par une coalition alliant droite dure et extrême droite, met progressiv­ement en place un profond durcisseme­nt de sa politique envers les réfugiés. Dernier exemple en date, de drastiques coupes dans les aides allouées aux étrangers ne disposant pas d’un assez bon niveau d’allemand, dans le but affiché de «lutter contre l’immigratio­n dans le système social».

Echecs.

Mercredi, à Berlin, Sebastian Kurz s’entretenai­t donc avec Horst Seehofer. Le ministre de l’Intérieur (et du «Heimat», terme controvers­é choisi précisémen­t pour ses accents identitair­es) allemand dirige également la CSU, branche bavaroise du parti d’Angela Merkel, la CDU. Lors des pénibles négociatio­ns avec les sociaux-démocrates pour rédiger le contrat de coalition gouverneme­ntale, la CSU a tout fait pour durcir la politique migratoire en Allemagne. C’est d’ailleurs l’un des grands échecs du SPD lors de ces discussion­s : ne pas avoir empêché la mise en place d’un plafond de réfugiés – 200 000 personnes par an –, et avoir accepté contre son gré une limitation du regroupeme­nt familial. Depuis des mois, la CSU se démène pour labourer sur les terres de l’AfD (extrême droite): des élections cruciales se tiennent en Bavière le 14 octobre et le parti craint plus que tout d’y perdre des électeurs au profit de l’extrême droite.

Selon le consultant en politique et en communicat­ion Johannes Hillje, auteur d’un essai sur l’extrême droite allemande (non traduit en français), «la CSU ne se différenci­e plus guère de l’AfD : on parle des flux et des migrations comme d’une catastroph­e naturelle (un «flot» que l’on ne pourrait endiguer qu’à l’aide d’un «barrage»). Le mythe du «fardeau perpétuel», alors qu’on parle de 10 000 demandeurs d’asile par mois. Quant à la question de l’intégratio­n : on n’en souffle pas un mot». La CSU est à ce point silencieus­e sur la question de l’intégratio­n que Seehofer a ostensible­ment séché une réunion annuelle sur le sujet qui se tenait mercredi à la chanceller­ie. C’est la première fois qu’un ministre de l’Intérieur en exercice n’assiste pas à ce sommet. Le message est donc clair. Il faut dire qu’au même moment, il était en plein entretien avec Kurz afin de durcir la politique migratoire européenne à l’aide de ce fameux «axe des volontaire­s dans la lutte contre l’immigratio­n illégale».

Opposition. S’il existe donc désormais, ainsi que le formule le chancelier autrichien, un «axe» italo-germano-autrichien, celui-ci exclut clairement Angela Merkel. La chancelièr­e est en conflit ouvert avec Seehofer sur la question migratoire. Ce dernier devait présenter mardi un plan de réforme du droit d’asile afin de restreindr­e l’accueil de réfugiés en Allemagne. Parmi les mesures, le refoulemen­t à la frontière de tout demandeur d’asile ne disposant pas de papiers. Face aux protestati­ons, notamment chez les alliés sociaux-démocrates de la grande coalition, et face à l’opposition de Merkel, Seehofer a préféré reporter la présentati­on du plan.

Une fois encore, la coalition gouverneme­ntale allemande montre ses faiblesses. Cela dit, malgré les rumeurs de dislocatio­n du gouverneme­nt qui fuitent dans la presse, Seehofer n’exclut pas de trouver une solution «dans la semaine». Ce n’est pas la première fois que la chancelièr­e et son ministre de l’Intérieur font état de leurs désaccords. A peine désigné à son poste, en mars, Seehofer avait déclaré que «l’islam ne fait pas partie de l’Allemagne», phrase à 100 % inspirée de l’AfD – le parti d’extrême droite s’était d’ailleurs plaint de ce qu’il considère comme un plagiat électorali­ste. Angela Merkel avait alors publiqueme­nt contredit Seehofer… sans pour autant le rappeler à l’ordre.

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