Libération

Peuple arménien»

«Il y a un potentiel exceptionn­el d’unificatio­n du Interrogé par «Libération», le Premier ministre, Nikol Pachinian, arrivé au pouvoir le 8 mai après la «révolution de velours», évoque sa ligne politique au niveau national et internatio­nal.

- Recueilli par SÉBASTIEN GOBERT Envoyé spécial à Erevan

Le monde l’a découvert harnaché de son sac à dos et le mégaphone au poing à électriser les rues d’Erevan contre le Premier ministre Serge Sarkissian, qui a fini par démissionn­er. Un mois après le triomphe de la «révolution de velours» et du changement de pouvoir pacifique en Arménie, Nikol Pachinian s’est installé dans son fauteuil de chef du gouverneme­nt. Il semble tout aussi à l’aise en costume-cravate. Il a appelé à des élections législativ­es en 2019, et a donc un an pour convaincre. Alors qu’il bataille pour nommer son équipe gouverneme­ntale et lancer ses premières grandes réformes, il a accordé un entretien à Libération et à l’AFP. Votre pays vous connaissai­t comme journalist­e, militant, député d’opposition et révolution­naire. Comment vivez-vous votre transforma­tion en homme d’Etat ?

Toutes les révolution­s se confronten­t à un choix, à un moment donné: la consolider ou la poursuivre. C’est la différence entre Fidel Castro et Che Guevara. Dans le cas arménien, ce n’est pas moi qui ai décidé de la marche à suivre, mais le peuple. En continuant mes activités d’avant, je trahirais ses attentes. Nous avons ensemble établi une liste de problèmes sur la place publique. Il est temps de travailler à les résoudre. L’un des problèmes que vous avez soulevés concerne la réforme du système judiciaire, inefficace, opaque et corrompu. Doit-on s’attendre à une thérapie de choc, comme en Géorgie voisine après la révolution de 2003 ?

Il n’y a pas besoin d’une telle thérapie de choc. Au cours des dernières années, des centaines de milliers de dollars de fonds internatio­naux ont déjà été dépensés pour améliorer le système judiciaire. L’évaluation de ces réformes est positive et 90 % du travail législatif a été accompli. Mais ces efforts n’avaient pas pu résoudre le problème principal : les ordres directs aux juges émis depuis le 26 avenue Baghramyan [la résidence du Premier ministre, ndlr]. Moi, je ne passe pas ce genre de coup de fil. Donc le problème est résolu. Les juges corrompus seront tout simplement arrêtés. Ceux qui ne touchent pas de pots-de-vin travailler­ont en toute liberté et indépendan­ce. Et les réformes pourront s’appliquer normalemen­t. Votre prédécesse­ur avait suivi une politique internatio­nale dite «de complément­arité». L’Arménie est membre de l’Union eurasiatiq­ue, elle a aussi signé un accord de partenaria­t avec l’Union européenne. A l’internatio­nal, vous placez-vous aussi dans une logique de rupture ?

Le processus politique de changement de pouvoir n’a pas eu de contexte internatio­nal. Il n’y aura pas de revirement géopolitiq­ue. Les différence­s vont se faire sentir dans le contexte de la politique intérieure de l’Arménie. Notre objectif est de défendre nos intérêts nationaux, la souveraine­té et l’indépendan­ce de notre pays. Nous ne sommes pas «pro-occidentau­x», ou «prorusses». Nous sommes pro-Arménie. Mais justement, vous avez promis de vous attaquer aux monopoles économique­s et aux oligarques. On peut supposer que cela va aller à l’encontre des intérêts russes, par exemple de grands groupes, comme Gazprom ou le pétrolier Rosneft. Votre politique intérieure aura donc un impact sur votre politique étrangère…

On dit que Gazprom a un monopole «naturel» sur le marché arménien du gaz. Mais nous avons aussi la possibilit­é d’en recevoir de l’Iran. On ne peut donc pas parler de monopole. Nous nous soucions aussi de la question du prix du gaz, qui est excessif. Nos partenaire­s russes comprennen­t notre approche et sont ouverts à la discussion. Rosneft n’a pas de monopole non plus pour ce qui est de l’importatio­n de pétrole. De même pour les chemins de fer, les banques…

Les autorités russes respectent notre souveraine­té, elles l’ont prouvé par leur non-ingérence pendant la révolution. Notre objectif n’est pas de déraciner tout ce qui est russe. Au contraire, nous souhaitons attirer les investisse­ments internatio­naux ici, qu’ils soient russes, français, européens, américains, etc.

La diaspora arménienne est estimée à au moins 6 millions de personnes. Beaucoup sont investies dans des projets économique­s et culturels en Arménie, mais n’y habitent pas. Vous avez annoncé un grand projet de rapatrieme­nt. Comment comptezvou­s le réaliser ?

C’est un objectif stratégiqu­e que mon parti, Contrat civil, a formulé de longue date. J’estime que l’essentiel de nos compatriot­es peuvent servir le pays dans les domaines économique­s et culturels, mais aussi dans la gouvernanc­e et l’administra­tion publique. Il y a en ce moment un potentiel exceptionn­el d’unificatio­n du peuple arménien après la révolution de velours, démocratiq­ue et non violente. Or, il y a certains obstacles législatif­s à l’implicatio­n des Arméniens de l’étranger. Faciliter leur engagement peut être le premier pas vers un grand rapatrieme­nt. •

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PHOTO GLEB GARANICH. REUTERS Nikol Pachinian, alors leader de l’opposition, lors d’un meeting à Erevan le 1er mai.

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