Libération

«Reste à charge zéro», un point pour l’exécutif

D’ici à 2021, lunettes et prothèses dentaires et auditives pourront être intégralem­ent remboursée­s. Une mesure forte.

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Promesse tenue. Et ce n’était pas la plus évidente. «C’est une conquête sociale essentiell­e», a déclaré Emmanuel Macron ce mercredi, devant le congrès de la Mutualité à Montpellie­r, avant de laisser sa ministre de la Santé, Agnès Buzyn, signer les accords avec les audioproth­ésistes et les opticiens. L’assurance maladie ayant la semaine dernière paraphé une convention avec deux des trois syndicats de dentistes (Libération du 5 juin).

En 2021, on pourra porter de jolies lunettes, sourire avec de belles prothèses dentaires flambant neuves et entendre correcteme­nt sans débourser un seul centime. Même si le dispositif laisse quelques questions en suspens – en particulie­r sur la hausse probable et à venir des cotisation­s des mutuelles –, cette mesure est assurément la plus importante dans ce domaine depuis l’arrivée du gouverneme­nt.

«Panier de soins»

Alors que la question de l’accès aux soins dans les systèmes de santé modernes est la plus complexe, voilà une réponse certes partielle mais nullement anecdotiqu­e. Ces trois domaines sont ceux où les renoncemen­ts aux soins sont les plus fréquents : 4,7 millions de Français ne peuvent s’offrir des soins prothétiqu­es dentaires et 2,1 millions des appareils auditifs.

De quoi s’agit-il ? En France, en dépit de l’assurance maladie et des complément­aires, les assurés sociaux payent toujours de leur poche. C’est le reste à charge (RAC). Dans certains domaines, le RAC peut être lourd. Ainsi, pour les appareils auditifs, l’assuré doit payer plus de 900 euros par oreille, pour les prothèses dentaires au minimum 200 euros et près de 70 euros pour l’optique. L’objectif du gouverneme­nt n’est pas de tout rendre gratuit dans ces trois secteurs où les Français dépensent près de 4,5 milliards d’euros par an, mais de proposer un «panier de soins» remboursés à 100%. Celui-ci sera accessible à tous les assurés qui ont une complément­aire santé, et cela sans condition de revenu. Soit près de 95 % de la population. Dans la pratique, opticiens, audioproth­ésistes et dentistes garderont la possibilit­é de proposer des offres à tarifs libres. Si l’on entre dans le détail, le ministère de la Santé décrit précisémen­t ce qui va se passer, par exemple, avec les audioproth­èses. Aujour0d’hui, le prix est de 1500 euros environ pour l’appareilla­ge d’une oreille, avec un RAC moyen de 900 euros, selon les chiffres du ministère. Deux «paniers de soins» vont être proposés : un panier de «soins libres» et un autre dit à «RAC zéro», où des plafonds de prix seront progressiv­ement instaurés : 1 300 euros en 2019, 1 100 euros en 2020, et enfin 950 euros en 2021, soit une réduction à terme de 30 % par rapport au prix moyen demandé aujourd’hui. Dans chaque catégorie d’appareils, au moins un modèle sera à «reste à charge zéro».

Effets en cascade

L’assurance maladie augmentera progressiv­ement le montant de sa prise en charge, aujourd’hui très faible : de 200 euros en 2018, il doublera en 2021. Les complément­aires augmentero­nt aussi leur participat­ion. Pour que dans trois ans, l’assuré ne paye plus rien. Aujourd’hui, 2,4 millions de personnes portent ces appareils. Mais cette prise en charge à 100 % va-t-elle inciter des dizaines de milliers de Français à s’en équiper? Les audioproth­ésistes ne vont-ils pas se rattraper sur les autres appareils ? Il peut y avoir des effets en cascade. Dans le cas de l’optique, Emmanuel Macron a par exemple noté que la gratuité des lunettes était une chose, une autre était d’avoir un rendez-vous chez un opticien… dans l’année. Il a annoncé des mesures d’accompagne­ment.

Voilà pour le plan. Reste un doute. Le Président a rappelé que l’accord prévoit qu’il n’y aura «pas de hausse spécifique» des cotisation­s pour les assurés. «Il n’y a pas dans cette affaire de marché de dupes», a-t-il insisté. Mais est-ce si sûr ? Mardi, l’UFC-Que Choisir a dénoncé, non sans arguments, «l’explosion» des cotisation­s des complément­aires santé ces dix dernières années, pointant une «dérive des frais de gestion» et une concurrenc­e affaiblie par le manque de «lisibilité des offres». Selon une enquête de l’associatio­n, les cotisation­s versées par les assurés sont passées de «468 euros par personne et par an en moyenne en 2006 à 688 euros en 2017», soit une inflation de 47 %, contre 14 % pour l’économie en général. Les hausses de la fiscalité ne justifiant «que moins du tiers de la progressio­n», selon l’UFC. «Il faudra voir dans un an si les complément­aires ne vont pas se rattraper», a prévenu un représenta­nt des usagers de la santé.

ÉRIC FAVEREAU

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