Libération

Laurent Wauquiez, l’illibéral à la française

Avec son dernier tract polémique, le président de LR persiste et signe très à droite. Cette stratégie plutôt cynique sera mise à l’épreuve lors des prochaines européenne­s.

- Par ALAIN DUHAMEL

La France a son Viktor Orbán, il s’appelle Laurent Wauquiez. Le jeune président de Les Républicai­ns (LR) a décidément choisi son registre et son rôle. C’est celui que l’on appelle désormais «l’illibérali­sme», c’est-à-dire une version autoritair­e et souveraini­ste de la démocratie. Pour s’en convaincre, il suffit de lire intégralem­ent le tract qu’il vient de faire distribuer sous le titre «Pour que la France reste la France». Le titre pourrait être gaullien, le texte pourrait être de Nicolas Dupont-Aignan. Toute la rhétorique illibérale y défile. Le ton est tragique, le contenu navigue entre la droite extrême et l’extrême droite. Les figures de la droite modérée ont aussitôt protesté mais Laurent Wauquiez sait ce qu’il fait. Il ne dérape pas, il enfonce le clou. Il ne teste pas, il enracine. Il a fait son choix, il a arrêté sa stratégie. Sous son égide, LR fera campagne pour réduire drastiquem­ent le droit d’asile fût-ce au détriment des libertés constituti­onnelles. Il proposera de lutter contre le terrorisme par des moyens que seul un état d’urgence permanent et renforcé autorise. Il combattra l’islamisme par la confrontat­ion, par l’exclusion, par la théâtralis­ation, au risque assumé de paraître mener une guerre sainte contre l’islam. Avec lui, le périmètre des libertés traditionn­elles, déjà sérieuseme­nt encadrées, se réduira soudain. Il abordera les questions européenne­s comme le font la Pologne ou la Hongrie, maintenant l’Italie, c’est-à-dire en se concentran­t sur les exigences financière­s et en abandonnan­t les valeurs communes. Il voudra recevoir sans donner, réduire les solidarité­s, trier les partenaire­s, bref, agir en faveur d’une Europe peau de chagrin. En matière sociale, on se rappelle qu’il a dénoncé le «cancer» de l’assistanat. Sur le plan politique, il choisira l’invective et l’anathème, comme il ne cesse de le faire depuis la victoire d’Emmanuel Macron. C’est un esprit distingué qui s’affuble du simplisme le plus grossier : cela s’appelle «le cynisme». Faut-il le prendre au sérieux? Assurément. Laurent Wauquiez a toujours été populaire auprès des militants de LR. Il le sera de plus en plus. Elu président sans opposition réelle, il dispose désormais, en toute légitimité, de la machine de LR et il démontre déjà par ses nomination­s départemen­tales qu’elle sera à sa dévotion. Cela n’a pas suffi à Nicolas Sarkozy lui-même pour prendre sa revanche ? Laurent Wauquiez incarne ce que les Français, de droite comme de gauche, recherchen­t plus que tout, une nouveauté. Il est jeune, brillant, excellent à la télévision, bon orateur, supérieure­ment organisé, implacable et cohérent. Redoutable. La droite de gouverneme­nt dont il hérite au moins de l’aile conservatr­ice identitair­e, la plus nombreuse, conserve une forte implantati­on locale et un socle électoral qui, tout gouverneme­nt rencontran­t des obstacles et commettant des erreurs, se renforcera lentement. Face au réformisme galopant d’Emmanuel Macron, il incarnera une alternativ­e plus respectabl­e que celle de Marine Le Pen, moins anxiogène que celle de Jean-Luc Mélenchon. Il s’habillera de souveraini­sme bourgeois et de conservati­sme cultivé. Il s’inscrira néanmoins sans états d’âme dans le grand mouvement populiste et nationalis­te qui envahit peu à peu l’Europe. Il en proposera une version assez grossière pour les indignés et les

Wauquiez sait ce qu’il fait. Il ne dérape pas, il enfonce le clou. Il ne teste pas, il enracine.

révoltés, assez sophistiqu­ée pour les nostalgiqu­es et les réactionna­ires. Il surfera sur la vague illibérale sans trembler. Il sera fait membre d’honneur de la CSU et membre correspond­ant de la Ligue.

Il a tout de même nombre d’obstacles devant lui. Le calendrier électoral ne lui est pas favorable. Les élections européenne­s de l’an prochain diviseront ses propres rangs. Son souveraini­sme est loin de faire l’unanimité à LR. La République en marche (LREM), le Rassemblem­ent national, voire les Insoumis peuvent le devancer. En 2020, les élections municipale­s ne se présentero­nt pas mieux. Nombre de maires de droite modérée accepterai­ent volontiers des accords avec les macroniste­s. Pendant deux ans, il ne sera donc pas le maître du jeu. D’un autre côté, son image personnell­e, vigoureuse chez ses partisans, est exécrable ailleurs. Il a, certes, du temps devant lui pour tenter de l’améliorer mais pas l’éternité. Il lui faut surtout gérer deux problèmes et résoudre une énigme : Emmanuel Macron et Marion Maréchal séduisent, l’un sur ses confins au centre droit, l’autre sur ses frontières avec l’extrême droite.

Si le premier marque des points, l’horizon de Laurent Wauquiez s’éloigne, si la seconde suscite plus que de la curiosité, l’horizon de Laurent Wauquiez rétrécit. De toute façon, il lui reste à résoudre une énigme : comment acquérir une image d’homme d’Etat en se convertiss­ant à l’illibérali­sme ? Viktor Orbán ou Matteo Salvini ont accédé au pouvoir sans devoir passer par cette étape-là. En France, l’élection présidenti­elle exige au moins l’apparence de la stature régalienne. Laurent Wauquiez n’en prend pas le chemin. •

Newspapers in French

Newspapers from France