Indolence
C’est l’un des grands scandales sanitaires français. Au début du XXe siècle, observant le cas d’ouvriers exposés à l’amiante et atteints de maladies inexpliquées, un certain nombre de médecins démontrent la nocivité de ce matériau industriel isolant, à la fois commode et peu coûteux. Il a fallu attendre une épidémie meurtrière parmi les travailleurs de l’amiante et les personnes exposées à des fibres invisibles pour que le scandale éclate enfin. C’est-à-dire un siècle plus tard, environ : l’amiante a été interdit… en 1997. Entre-temps, un vicieux lobbying organisé par l’industrie et plus précisément, jusque dans les années 90, par un Comité permanent amiante ayant porte ouverte dans l’administration, a semé le doute sur les études, stipendié des scientifiques, influé sur les décideurs pour repousser toutes les mesures de sauvegarde. Et comme les victimes, dont les symptômes se manifestaient tardivement, étaient des ouvriers sans puissance financière ni visibilité médiatique, les pouvoirs publics, dans une indolence coupable, ont jugé urgent de ne rien faire. L’affaire, déjà ancienne, laisse un héritage maléfique : ces milliers de bâtiments construits au fil des décennies et truffés d’un amiante omniprésent, que l’usure du temps a répandu dans ces atmosphères confinées. Parmi eux, des écoles vétustes, comme celle où Libération s’est rendu, font courir de très sérieux risques aux professeurs et aux élèves. Cette fois, la dangerosité du matériau est connue et ses conséquences sur la santé publique bien documentées. Les diagnostics, bâtiment par bâtiment, sont nécessaires, de manière à prévenir à la fois les risques sanitaires et la dissémination d’une défiance qui ne manquera pas de s’étendre. Reste donc à susciter, exiger, organiser une réaction rapide, en évitant cette fois les atermoiements qui ont coûté tant de vies humaines. •