Libération

Indolence

- Par LAURENT JOFFRIN

C’est l’un des grands scandales sanitaires français. Au début du XXe siècle, observant le cas d’ouvriers exposés à l’amiante et atteints de maladies inexpliqué­es, un certain nombre de médecins démontrent la nocivité de ce matériau industriel isolant, à la fois commode et peu coûteux. Il a fallu attendre une épidémie meurtrière parmi les travailleu­rs de l’amiante et les personnes exposées à des fibres invisibles pour que le scandale éclate enfin. C’est-à-dire un siècle plus tard, environ : l’amiante a été interdit… en 1997. Entre-temps, un vicieux lobbying organisé par l’industrie et plus précisémen­t, jusque dans les années 90, par un Comité permanent amiante ayant porte ouverte dans l’administra­tion, a semé le doute sur les études, stipendié des scientifiq­ues, influé sur les décideurs pour repousser toutes les mesures de sauvegarde. Et comme les victimes, dont les symptômes se manifestai­ent tardivemen­t, étaient des ouvriers sans puissance financière ni visibilité médiatique, les pouvoirs publics, dans une indolence coupable, ont jugé urgent de ne rien faire. L’affaire, déjà ancienne, laisse un héritage maléfique : ces milliers de bâtiments construits au fil des décennies et truffés d’un amiante omniprésen­t, que l’usure du temps a répandu dans ces atmosphère­s confinées. Parmi eux, des écoles vétustes, comme celle où Libération s’est rendu, font courir de très sérieux risques aux professeur­s et aux élèves. Cette fois, la dangerosit­é du matériau est connue et ses conséquenc­es sur la santé publique bien documentée­s. Les diagnostic­s, bâtiment par bâtiment, sont nécessaire­s, de manière à prévenir à la fois les risques sanitaires et la disséminat­ion d’une défiance qui ne manquera pas de s’étendre. Reste donc à susciter, exiger, organiser une réaction rapide, en évitant cette fois les atermoieme­nts qui ont coûté tant de vies humaines. •

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