Retraites : le bureau des légendes
Avant de parler sérieusement de la réforme des retraites, il faut d’abord contraindre un certain nombre de fabulateurs catastrophistes… à faire retraite. Les publicistes libéraux ou conservateurs se répandent dans les studios avec des mines effrayées pour prédire un effondrement du système sous le poids de la démographie : plus de retraités et moins d’actifs pour financer leur pension, thrombose assurée.
Il n’y a rien de plus faux. En réalité, les comptes se sont équilibrés en 2017, de même que les comptes généraux de la Sécu. Contrairement au film d’horreur que l’on projette sans cesse, la protection sociale française est financée, l’Etat-providence, qui rend de si éminents services à la population, tient le choc.
Les retraites reviendront dans le rouge au cours des années qui viennent, mais dans une proportion supportable. Et si la croissance dépasse les 1,5 %, chiffre raisonnable, le système se retrouve excédentaire dans une vingtaine d’années. On ne va pas dans le mur. Au contraire, on s’apprête à le franchir tant bien que mal. De la même manière, les Français ne sont pas, dans ce domaine, «réfractaires au changement», selon l’universelle lamentation exhalée par la classe dirigeante. L’équilibre a été restauré par l’accumulation des réformes de ces dernières années (Balladur, Jospin, Fillon, etc.), réformes désagréables, malaisées, mais finalement admises par le corps social. Ces Français soi-disant immobilistes acceptent somme toute le changement permanent… L’instauration d’un système à points a le mérite de la simplicité (uniformisation des régimes) et de la commodité (il suffit de faire varier la valeur du point pour équilibrer recettes et dépenses). Mais elle se heurte à une méfiance légitime, surtout quand elle est précédée de la propagande alarmiste qui retentit de toutes parts. On peut soupçonner le gouvernement de méditer à terme une baisse des pensions (par diminution du point) pour inciter les Français à se tourner vers les assurances privées, vieille lune libérale. Procès d’intention ? Certes. Mais dans les cercles patronaux et parmi les technos du public, l’idée d’une privatisation continue de courir à bas bruit. C’est le rêve éveillé des milieux patronaux, et non un croque-mitaine qu’on invoquerait pour faire peur. Le gouvernement devra donc démontrer, simulations à l’appui, que sa réforme ne conduira pas à un grignotage systématique des pensions. On prêche en haut lieu pour l’équité, qui commanderait de faire disparaître la quarantaine de régimes spéciaux aujourd’hui en vigueur. L’équité est une belle chose. Mais doit-on y parvenir en alignant les règles par le haut ou par le bas ? C’est évidemment la deuxième hypothèse qui trotte dans la tête des dirigeants: on mettra fin aux insupportables privilèges des cheminots, des ouvriers de l’Etat ou des fonctionnaires. Rappelons que le niveau moyen des retraites en France tourne autour de 1 400 euros par mois. On désigne donc comme «privilégiés» des gens qui perçoivent le plus souvent nettement moins de 2 000 euros par mois. Il y a des profiteurs plus prospères… Refuser toute réforme ? Certes non. Il faudra bien ajuster les paramètres pour tenir compte des évolutions démographiques. Mais nul besoin de grand soir, ni de nuit du 4 août à l’envers pour les «privilèges» des classes populaires. Dans la bataille qui s’engagera inévitablement, il faudra d’abord dissiper les mythes horrifiques débités par les vrais privilégiés. •