A la tête de la Francophonie, une succession dans la cacophonie
Au sommet d’Erevan, Louise Mushikiwabo devrait remplacer la Canadienne Michaëlle Jean. Pour certains, Paris, en soutenant la Rwandaise, viserait à se réconcilier avec Kigali.
Michaëlle Jean aura persisté jusqu’au bout : en fin de mandat, la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ne semblait toujours pas se résoudre à passer la main. Au 17e sommet de l’institution, qui s’est ouvert jeudi à Erevan, en Arménie, et alors que son départ est programmé depuis plusieurs mois, cette Canadienne d’origine haïtienne refusait toujours de renoncer à se représenter. Jeudi midi, lors de la cérémonie d’ouverture, elle a fustigé dans un discours violent «les petits arrangements entre Etats». La veille, même ses derniers alliés, le Canada et Québec (la province siège au même titre que le gouvernement fédéral à l’OIF), avaient finalement refusé de la soutenir.
Sa très probable successeure est connue depuis plusieurs mois : Louise Mushikiwabo, actuelle ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Une candidature endossée bien avant ce sommet par la France et l’Union africaine.
Voyages.
Inhabituelle autant qu’inattendue, cette ultime bataille se déroule dans un climat électrique. Paradoxalement ce n’est pas tant le regret de voir Michaëlle Jean quitter son poste qui provoque des tensions. En interne, certains rappellent qu’elle a procédé à des nominations «maladroites», ne tenant pas compte de l’équilibre entre pays. Et qu’elle n’a jamais su réellement imposer sa légitimité face aux chefs d’Etat africains qui constituent la majorité de l’OIF. Sa réputation a aussi été fragilisée après la révélation de ses dépenses excessives, notamment pour son appartement de fonction à Paris (près de 260 000 euros) ou des voyages pas forcément indispensables. Enfin, sa première rencontre avec Emmanuel Macron, fin juillet 2017, «fut un désastre. Elle était totalement décalée, arrivant à Paris au dernier moment après des vacances prolongées à Assinie chez le président ivoirien», commente un observateur. Très vite, après l’arrivée de Macron à l’Elysée, le «tout sauf elle» se serait ainsi imposé, avec l’accord tacite d’un certain nombre d’Etats membres. Restait à trouver la perle rare pour la remplacer. A l’issue d’un long processus, le nom de Louise Mushikiwabo a finalement émergé. Une candidature qui a déclenché des levées de boucliers. Sur Twitter, d’anciens militaires un temps engagés au Rwanda en 1994 au sein de l’opération française Turquoise ne décoléraient pas contre ce qu’ils perçoivent comme un geste de Paris envers un pays où la France est fortement soupçonnée d’avoir soutenu les chefs d’orchestre du génocide de 1994. Louise Mushikiwabo, 57 ans, a vécu cette histoire dans sa chair : installée aux Etats-Unis quand les tueries ont commencé, elle a assisté de loin, impuissante, au massacre de sa famille. Elle ne retournera au Rwanda qu’en 2008. La France, en soutenant cette candidature, chercherait-elle à se réconcilier avec le Rwanda ? Dans une tribune publiée par le Monde fin août, l’écrivaine ivoirienne Véronique Tadjo se déclare ainsi «perplexe» face à cette hypothèse, jugeant même utile d’ajouter que «la France a toujours nié» cette complicité. Elle regrette cette nomination annoncée, alors «qu’au Rwanda, le français a été remplacé par l’anglais comme langue d’enseignement». Certes, mais le français est toujours l’une des langues officielles du pays. Par ailleurs, la vraie langue nationale reste le kinyarwanda, partagée par toute la population, fait rare en Afrique.
Quinze jours plus tard, nouveau coup de semonce dans le quotidien du soir : pas moins de quatre anciens ministres français de la Francophonie cosignent une tribune dénonçant «une décision unilatérale» imposée par la France à ses partenaires, et visant à promouvoir la candidate d’un pays en délicatesse avec les droits de l’homme. Des arguments qui font sourire un ancien chargé de mission de l’OIF : «Ceux-là, on ne les a pas beaucoup entendus il y a quatre ans quand Michaëlle Jean a été imposée, au forcing pour le coup, par François Hollande. Ils n’ont pas plus protesté quand Michaëlle Jean, et l’OIF avec elle, ont fait profil bas face aux atteintes aux droits de l’homme, notamment au Congo-Brazzaville ou au Gabon.»
Enthousiasme.
Le vrai décalage est peut-être ailleurs : «De toute façon, tous ces commentaires font fausse route, explique le chargé de mission. Les chefs d’Etat africains n’avaient aucun autre candidat consensuel à présenter. Et ils ont endossé le soutien de Louise [Mushikiwabo] avec enthousiasme. En Afrique, le Rwanda est un pays admiré. […] Son président, Paul Kagame, y est très populaire.» La probable nomination de Louise Mushikiwabo annonce peut-être aussi que le temps est venu pour «un nouveau type de gestion», comme le notait le Premier ministre québécois mercredi, en justifiant le lâchage de Michaëlle Jean. Jeudi matin, Macron est allé dans le même sens en invitant à «réinventer la francophonie» après avoir rappelé que l’Afrique en était «l’épicentre». Un message à peine subliminal en faveur de la candidate rwandaise. •