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5 MILLIONS OU 8,8 MILLIONS DE PAUVRES ?

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Le chiffre de 8,8 millions de pauvres (que d’aucuns vont jusqu’à arrondir à 9 millions) vient d’une convention statistiqu­e européenne qui consiste à considérer comme pauvres toutes les personnes dont les ressources sont inférieure­s à 60 % du revenu médian de chaque pays (1 710 euros en France) : soit moins de 1 026 euros pour quelqu’un vivant seul, moins de 1539 euros pour un couple, ou encore moins de 2565 euros pour un couple avec deux enfants. Un mode de calcul qui met dans la même catégorie un salarié à mi-temps non choisi payé au smic horaire qui survit avec moins de 600 euros par mois et une famille disposant de 2 600 euros. Alors qu’il s’agit de «situations sociales très hétérogène­s», pointe le rapport de l’Observatoi­re des inégalités. Elles «vont de ce que l’on appelait il y a quelques années “le quart monde” jusqu’à des milieux sociaux que l’on peut qualifier de “très modestes”». Un mélange qui «entretient la confusion», déplore l’étude.

Dans ces deux cas, «le besoin de solidarité n’est pas identique». C’est pourquoi, pour mieux «distinguer la population pauvre des catégories modestes», l’Observatoi­re retient un autre seuil de pauvreté, à 50% du revenu médian (voir infographi­e). Et cette modificati­on du curseur de 10 points entraîne des changement­s en cascade : tout d’abord, le nombre de pauvres s’en trouve réduit à 5 millions de personnes (donc 3,8 millions en moins), ce qui fait 8 % de la population française, et non 14 %.

«Il n’existe pas de mesure objective de la pauvreté», admet le rapport. «On pourrait tout aussi bien décider [qu’elle] est définie par un seuil à 47 %, à 72 % ou à 83 % [du revenu médian].» Mais la barre à 50 % permet d’englober des situations sociales plus homogènes que celle à 60 % du revenu médian, avec des seuils de pauvreté fixés à 855 euros pour une personne seule, 1 283 euros pour un couple, ou encore 2 138 euros pour une famille avec deux enfants de plus de 14 ans. «On ne prétend pas avoir raison. Ce que nous voulons, c’est ouvrir un débat pour interroger les outils, souligne le directeur de l’Observatoi­re des inégalités, Louis Maurin. Exagérer un phénomène social, même avec les meilleures intentions du monde, n’aide pas à le résoudre. Au contraire. C’est laisser entendre que le modèle social français ne marche pas.» Alors que c’est l’inverse : quel que soit le seuil retenu, la France compte une proportion de pauvres nettement inférieure à l’Allemagne, au Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, et même la Suède ou l’Autriche.

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