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Reworld «Un conseil : ne bossez jamais pour eux»

Le groupe de presse, méprisé par le milieu pour son exploitati­on de marques à des fins purement publicitai­res, s’apprête à acquérir les titres de Mondadori, comme «Grazia» et «Sciences & Vie», devenant le premier éditeur de magazines en France.

- Par JÉRÔME LEFILLIÂTR­E

La page d’accueil du site internet est tellement caricatura­le de «l’esprit start-up» qu’on pourrait la croire rédigée par le Gorafi. Le slogan est à l’américaine : «Influence, engage, amplify.» La mission autoprocla­mée s’affiche dans un franglais obscur d’école de marketing de seconde zone : «Un moteur, l’innovation média. Une solution globale intégrée, Branding et Performanc­e. Un objectif, la conversion pour les annonceurs.» Et la proclamati­on d’identité, en lettres capitales, ne s’affiche pas dans notre langue, tellement ringarde pour une entreprise aux ambitions globales : «WE ARE REWORLD MEDIA.»

Reworld Media ? Derrière ce nom se trouve un groupe méprisé par le monde de la presse et du journalism­e malgré son chiffre d’affaires de 185 millions d’euros en 2017 – et son résultat net positif de 1,8 million d’euros, faiblard mais notable dans un secteur sinistré. Relancée en 2012 après son rachat par un duo d’entreprene­urs d’Internet, Pascal Chevalier et Gautier Normand, cette drôle de boîte a repris au fil des années des magazines poussiéreu­x et promis de leur donner une deuxième vie en les «digitalisa­nt». Ses «fleurons» se nomment Marie France, le Journal de la maison, Auto Moto, Pariscope ou Be (les deux derniers ont cessé de paraître en version papier). Pas de quoi en faire un grand acteur des médias. Mais Reworld est sur le point de changer de dimension en avalant des dizaines de journaux puissants, comme Auto Plus, Grazia, Biba, Modes & Travaux, Closer, Télé Star, Dr Good ou encore Sciences & Vie. Tous ces titres appartienn­ent pour l’instant à la filiale française de l’italien Mondadori, l’un des plus gros éditeurs européens. Le 27 septembre, Reworld et lui sont entrés en négociatio­ns exclusives pour la vente de ces magazines, dont le groupe transalpin souhaite se débarrasse­r depuis des mois. Si la transactio­n aboutit, elle débouchera sur la constituti­on d’un nouveau mastodonte des médias, pesant près d’un demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires. Le Reworld augmenté deviendrai­t le premier groupe de presse magazine de l’Hexagone. La nouvelle horrifie d’avance les 700 salariés de Mondadori France. Dans une lettre ouverte adressée le 3 octobre à l’actionnair­e de Mondadori, qui n’est autre que la famille Berlusconi, l’intersyndi­cale dénonce un «abandon» et dit sa «colère» face à la perspectiv­e de cette vente, qu’elle prie sa direction d’abandonner.

«C’EST LA MORT»

Pourquoi tant de défiance ? Elle tient à l’affreuse réputation de Reworld dans le milieu de la presse. Celle-ci est telle que, d’après plusieurs sources, le patron de la filiale française de Mondadori, Carmine Perna, s’opposait à ce choix, préférant un rapprochem­ent avec les groupes Lagardère ou Marie Claire. C’est au niveau de l’actionnair­e, en Italie, que la décision de négocier avec Reworld a été prise.

«Un conseil : ne bossez jamais pour eux», nous avertit l’ancien rédacteur en chef d’un magazine de Reworld (sous couvert d’anonymat, comme tous nos témoins, qui ont signé des accords de confidenti­alité en quittant l’entreprise). «Reworld, c’est la mort, poursuit le même, viré il y a quelques mois. Il n’y a aucune reconnaiss­ance là-bas, aucun respect. Je ne connais personne qui est heureux d’y travailler.» Une autre ex-collaborat­rice, partie parce qu’elle ne pouvait «plus blairer» ses patrons : «Les gens sont très malheureux là-bas car ils se sentent dépossédés du sens de leur travail. Beaucoup voulaient être journalist­es mais en sont très loin.» Contactés par Libération, Pascal Chevalier et Gautier Normand, qui possèdent toujours 22% de Reworld, n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

Le business model du duo est simple : il capitalise sur la notoriété et l’audience de la marque de presse rachetée à vil prix pour s’en servir ensuite comme support publicitai­re en France et à l’étranger, d’où vient plus de la moitié des revenus. La force de la boîte est sa connaissan­ce du monde numérique, sa capacité à animer des communauté­s en ligne et à vendre ces audiences aux annonceurs. Au sein du groupe, une filiale de marketing en ligne, Tradedoubl­er, qui assure plus de la moitié des revenus. Le fait d’agréger des magazines les uns aux autres

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