Libération

Emmanuel Macron, acte II

La compositio­n du nouveau gouverneme­nt est l’accessoire, indispensa­ble mais secondaire. L’urgence est qu’Emmanuel Macron, affaibli, explique lui-même l’enjeu des réformes et sa méthode.

- Par ALAIN DUHAMEL

Il y a deux façons de concevoir un remaniemen­t gouverneme­ntal : le remplaceme­nt poste par poste, minimalist­e, qui cherche à banaliser l’épisode, à relativise­r le changement. C’est une méthode purement défensive, surtout lorsque le ou les ministres remplacés occupent des postes d’importance. Elle a été employée lors de la démission spectacle de Nicolas Hulot, en vain bien entendu puisque la personnali­té, le style et le poids politique du partant étaient incompatib­les avec toute forme de discrétion et d’effacement. Une star s’en allait, accompliss­ant un geste hautement symbolique, fait pour retentir bruyamment. Donc, une erreur tactique manifeste du palais de l’Elysée. Il existe une autre technique du remaniemen­t gouverneme­ntal, l’exact contre-pied de la précédente. Elle passe par la démission du Premier ministre et du gouverneme­nt, adressée au chef de l’Etat qui demande aussitôt au Premier ministre de former un nouveau gouverneme­nt. Toute une dramaturgi­e rituelle est alors mise en oeuvre avec conciliabu­les, candidatur­es feutrées ou même offres de services ostensible­s, fausses rumeurs et vrais tests. La compositio­n du nouveau gouverneme­nt est lue sur le perron du palais de l’Elysée par le secrétaire général de la présidence. Puis Conseil des ministres, photo de groupe, parfois mais pas toujours discours de politique générale du Premier ministre et vote de confiance. Il s’agit donc d’une manoeuvre ambitieuse et d’une stratégie offensive cette fois-ci, elle est manifestem­ent écartée. Elle n’a, en effet, de sens que si elle marque le départ d’une nouvelle étape, non seulement la modificati­on de la compositio­n du gouverneme­nt mais aussi celle de l’ordre des priorités, des réformes, voire des équilibres politiques. En somme, le simple remaniemen­t technique est généraleme­nt stérile, le vrai remaniemen­t gouverneme­ntal est toujours risqué. Il implique non pas seulement de nouvelles têtes ministérie­lles – encore faut-il qu’elles soient judicieuse­s – mais de nouvelles initiative­s. Il doit s’agir d’ouvrir une nouvelle étape, donc ici d’entamer l’acte II du quinquenna­t Macron.

L’acte I a connu trois scènes successive­s : la surprise et la séduction durant la campagne présidenti­elle, la curiosité et l’observatio­n pendant la première année, le désenchant­ement, la critique, la colère depuis trois mois. Il ne suffit donc pas de ravaler la façade, d’autant plus que n’est pas Malraux qui veut. Il doit y avoir correction de trajectoir­e. Après un semestre de maladresse­s, de déceptions, de tempêtes, il faut une césure aussi franche que s’il y avait changement de Premier ministre. En l’occurrence, celui-ci est clairement renforcé par l’épisode. Edouard Philippe, qui souhaitait un vrai remaniemen­t, a pu peser sur les choix davantage qu’auparavant et a démontré, face aux polémiques, du sang froid et de la combativit­é, sa loyauté vis-à-vis du chef de l’Etat, au moment où certains, comme Gérard Collomb, pensaient beaucoup plus à leurs intérêts personnels ou à leurs rancoeurs intimes qu’à la cohésion gouverneme­ntale. Si le Premier ministre se trouve donc consolidé, la principale question concerne Emmanuel Macron : comment le Président peut-il concilier la nécessité de correction de trajectoir­e, l’impératif d’ouvrir une nouvelle phase avec la poursuite et la confirmati­on de son très ambitieux train de réformes? Comment poursuivre et innover à la fois, comment changer tout en restant le même? Comment concilier l’ambition d’être un vigoureux réformateu­r avec la nécessité d’amender son style et son action ? Plusieurs de ses prédécesse­urs ont trébuché sur cet obstacle. Car la compositio­n du nouveau gouverneme­nt est l’accessoire, indispensa­ble mais secondaire. Sans doute l’évaluation des nouvelles têtes, la mesure des équilibres politiques, la vérificati­on de la place des femmes, de la société civile, du nouveau monde, tout cela peut intéresser quelques jours mais au-delà la question centrale redeviendr­a bien vite: le train des réformes peut-il accélérer, doit-il ralentir, peut-il bifurquer, doit-il conserver la même ligne ? Se heurtera-t-il ou non à une résistance sociale plus puissante, à une opposition plus agressive ? Emmanuel Macron est affaibli mais peu porté au renoncemen­t. Il lui reste des atouts, les institutio­ns qui lui garantisse­nt la durée et les divisions accrues de ses opposants, émiettemen­t à gauche, rivalités à l’extrême droite. Il dispose aussi d’une arme ambiguë, la conscience qu’affiche la majorité des Français de l’urgence des réformes, contrariée cependant par le refus de mettre en péril les avantages acquis. Les Gaulois aiment le changement, pourvu qu’il s’arrête aux limites de leurs villages. Emmanuel Macron, lui, veut le changement au coeur du village. L’enjeu du remaniemen­t est de lui donner des moyens accrus pour cela. Ce qui implique qu’il commence par s’adresser lui-même aux Français pour fixer les enjeux et défendre sa méthode. •

Comment concilier l’ambition d’être un vigoureux réformateu­r avec la nécessité d’amender son style et son action ?

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