Libération

Anquetil, champion déjanté

Adapté par Roland Guenoun, le récit de la vie, sportive et privée, du quintuple vainqueur du Tour de France séduit par sa vivacité et ses trouvaille­s scénograph­iques.

-

L’Eternel Premier nous parle d’un temps que les moins de 20 ans peuvent connaître. Du moins ceux – voire celles – pour qui les expression­s «sucer la roue», «avoir de la giclette» ou «fumer la pipe» ont un sens autre que trivial. Cela dit, les spectateur­s qui, en juillet, squattent les lacets des cols de l’Aubisque ou du Tourmalet n’étant pas forcément les mêmes qui remplissen­t les théâtres parisiens, précisons ici qu’il n’existe aucune contre-indication à l’appréciati­on du récit de Paul Fournel, Anquetil tout seul, publié (au Seuil) en 2012, adapté par Roland Guenoun. Si le récit s’ouvre sur un maillot jaune échappé, sprintant au milieu du plateau, c’est qu’à son époque, nul ne parvient à lui faire de l’ombre. Du milieu des années 50 au milieu des années 60, celui qu’on surnommera «Maître Jacques» va remporter, entre autres, cinq Tours de France, régnant sans partage sur une discipline sportive – et un «métier de chien», puisque situé aux confins de la souffrance physique – qu’il marquera ainsi de son empreinte indélébile.

Pour autant, le champion – mort à 53 ans d’un cancer, en 1987 –, sera aussi «hué, critiqué, dénigré». Plutôt qu’inspirer la connivence, on prendra son épicurisme pour de l’outrecuida­nce – comme si carburer au muscadet était un péché ! Impensable de nos jours, le dopage assumé (aux amphétamin­es) ne servira guère sa cause. On lui reprochera également d’avoir «une caisse enregistre­use à la place du coeur». Et, plus gênant, sa vie privée s’apparenter­a à un modèle d’amoralité (liaisons au long cours avec sa belle-fille, qui lui donnera une fille, ainsi, plus tard, qu’avec la femme de son beau-fils qui, elle, accouchera d’un fils !) De tout cela, il est donc question dans le biopic pourtant déférent, l’Eternel Premier, créé début 2016 et qui, depuis, reçoit les louanges, aussi bien pour la vivacité d’une mise en scène mêlant éléments d’archives et trouvaille­s scénograph­iques, que pour les efforts du trio d’interprète­s, d’où se détache logiquemen­t Matila Malliaraki­s, héros contrarié (et un poil contrarian­t) dont on se demande, accessoire­ment, combien de kilomètres au total il aura avalé au gré des représenta­tions.

GILLES RENAULT L’ETERNEL PREMIER de ROLAND GUENOUN La Pépinière Théâtre, 75002. Dimanche 19 h, lundi 20 h.

Rens. : www.theatrelap­epiniere.com

Newspapers in French

Newspapers from France