Libération

Traits d’union libres

L’énergique chanteuse du groupe electro pop niçois Hyphen Hyphen révèle une personnali­té ambitieuse à l’enfance cabossée.

- Par GILLES RENAULT

Sur les pochettes de disque, comme sur scène ou dans les clips, un trait noir au niveau de chaque pommette orne le visage de la chanteuse Santa et de ses comparses du groupe Hyphen Hyphen. Tel est donc le signe distinctif de la formation, qui fait à la fois référence à son nom –hyphen signifiant en anglais «trait d’union»– et lui confère une petite touche tribale, au diapason punchy des sonorités electro rock en vigueur. Originaire de Nice, où l’histoire a débuté en 2011, le double mixte (deux filles, deux garçons) a vite gravi les échelons. Un an après la sortie du premier album, en 2015, une victoire de la musique (catégorie «révélation scène») a justement validé l’énergie dépensée. Et, à l’heure de remettre le couvert, suite à la sortie d’un HH printanier (micro-)sillonnant le même territoire pop que son devancier, l’ex-quatuor devenu trio ne cherche aucunement à minorer ses desseins conquérant­s. Complet depuis belle lu(r)ette, l’Olympia de ce vendredi préfigure une longue tournée nationale qui ramènera l’escouade à Paris en juin 2019, cette fois au Zénith. Avant de prolonger les ébats dans la multitude de festivals d’été qui constellen­t dorénavant le pays. De prime abord, aucun malaise immédiat ne transparaî­t de la fièvre sudatoire qui caractéris­e des shows épiques où, musiciens et public en symbiose, les corps en mouvement croquent la cartograph­ie d’une jeunesse hédoniste préférant les soirées qui tanguent aux lendemains qui déchantent. Quelle ne sera donc pas la surprise guettant quiconque tendant l’oreille, qui y entendra, en anglais dans le texte, des histoires de suicide (Be High With You), de perte de repères

idéologiqu­es (Young Leaders), de relation parents-enfants sur la jante (Mama Sorry) ou de fille dans l’air morigénate­ur du temps, battant froid le machisme ébranlé («quand je dis non, c’est “non”, bordel / joue-la solo ! / et sache que tu es ma pire gueule de bois !» (Like Boys).

«Je n’ai pas une copine qui ne se soit sentie un jour inférieure, ou qui ait éprouvé un sentiment de peur», développe à tête reposée Santa (Samanta Cotta de son vrai nom), qui orchestre la contre-offensive à partir d’un vibrant slogan: «Face à la détresse

et la résignatio­n, créons du beau !» Tout en jugeant «anecdotiqu­es» les débats sur l’écriture inclusive et la féminisati­on des profession­s: «Ça peut faire un tweet, pas un roman !»

L’heure de concert tout juste pliée, la chanteuse athlétique n’en a pas pour autant fini avec les effusions. Délaissant le confinemen­t des loges, elle s’en vient encore distribuer dédicaces, selfies et accolades à ses aficionado­s. Le lendemain matin, dans l’anonymat strasbourg­eois d’un de ces halls d’hôtels

jalonnant la vie de tournée, elle les jauge: «En vérité, beaucoup de ces jeunes me paraissent paumés. Ils viennent nous voir pour oublier. Notre musique, comme la défonce, et surtout l’alcool chez pas mal d’entre eux, ayant un effet “aspirine”. Internet a brisé la sincérité des liens directs et accentué les attitudes versatiles. Je ne perçois hélas aucune envie de tout casser, ou même de se dire qu’il y a de belles choses à faire ensemble. Sauf lorsqu’on a la chance, comme c’est le cas avec ce groupe, de se trouver un projet commun visant précisémen­t, loin de toute forme d’engagement politique, auquel je ne crois pas, à sortir les gens de leur quotidien pour inventer une forme de bien-être l’espace d’un instant.» Né au sein d’une bande d’amis désirant repousser l’échéance des illusions perdues, Hyphen Hyphen n’a jamais fait mystère de ses ambitions. «C’est une hypocrisie très française, chez les artistes du moins, de dire qu’on ne s’aime pas, tout en ne parlant que de soi. Nous, à l’inverse, on espère fédérer le plus possible, y compris en dehors de nos frontières», expose la chanteuse du groupe qui, à l’occasion, ne voit pas malice à fraternise­r avec les marques (Citroën, Uniqlo) et la hype (un concert privé en pleine Fiac chez le galeriste

Emmanuel Perrotin).

L’histoire a réellement pris forme sur les bords de la

Riviera, au lycée public Masséna, établissem­ent qui hébergea jadis Guillaume Apollinair­e, Joseph Kessel et

Jean-Marie Le Clézio. Si, bien que select, le contexte estudianti­n ne détonne guère, le parcours de Samanta Cotta, lui, ne manque pas d’aspérités, tel que relaté par la blonde jeune femme au visage aussi rond que le propos se révèle carré. L’enfant unique grandit à l’abri du besoin à Beaulieu-sur-Mer, «banlieue bourgeoise de Nice, où l’on peut marcher seule dans la rue». Sans pour autant être à l’abri des coups durs. Déscolaris­ée, la fillette, qui sait lire à 4 ans et fait des crises, est suivie par un pédopsychi­atre qu’elle embrouille en comprenant qu’«il suffit de faire des dessins en noir pour ne pas aller à l’école» et rester écouter les conversati­ons autrement enrichissa­ntes des adultes.

Ancienne chanteuse dans un groupe américain, la maman, qui se croyait stérile, se débat avec les addictions (drogue, alcool). Tandis que le géniteur, architecte et peintre, donne tôt des clés à son enfant – qu’il initie par exemple à 12 ans au boursicota­ge ! Bilan : un petit pactole amassé «à partir des 1 000 euros misés sur les autoroutes du sud de la France !» –au motif qu’il estime ses années comptées. De fait, Santa, qui a déjà vu disparaîtr­e un oncle guitariste de blues, victime du sida, perd son père alors qu’elle n’a que 19 ans (crise cardiaque, hépatite «héritée des shoots de jeunesse»). Des drames intimes auxquels fera ensuite écho l’attentat du 14 juillet 2016 sur la promenade des Anglais, alors qu’Hyphen Hyphen célèbre l’anniversai­re de son batteur à quelques encablures du carnage. «Une fois surmonté l’effondreme­nt de tous mes repères, j’ai finalement opté pour l’ouverture au monde, tout en admettant que ceux qui font le choix de partir n’ont pas obligatoir­ement tout à fait tort», extrapole Santa, qui assure redouter «autant la normalité que la folie». Désormais installée à Paris, du côté de Belleville, où elle vit «en couple, avec une femme qui travaille aussi dans la musique», la vingtenair­e, autrefois profilée pour la compétitio­n sportive de haut niveau (tennis et judo, abandonnés en raison d’une main en compote menaçant la pratique, en parallèle, du piano), s’estime aujourd’hui solide dans le chaos des décibels.

Et peut-être un peu moins en dehors, lorsqu’on évoque, par exemple, la perspectiv­e de la maternité. «J’ai le temps pour devenir moins con et y réfléchir… surtout, quand je vois toutes les névroses qu’on peut refiler» souffle la «battante» au regard soudaineme­nt embué.

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Photo RÉMY ARTIGES

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